L’humour au Burkina Faso a connu sa véritable ascension dans les années 2015 grâce au travail pédagogique inculqué par certains comédiens de théâtre et humoristes de l’époque. Aujourd’hui, cet art de la scène « nourrit » presque son homme. Pas un weekend à Ouagadougou ne s’écoule sans un spectacle d’humour. Les adeptes sont nombreux et les formations se multiplient. Mais malheureusement cette jeune structure faitière est en train d’être infesté par un virus nocif qui fragmente ce groupe dont on croyait unifier.
« …Nous sommes des jeunes humoristes en herbe qui embrassent cette profession par amour et surtout grâce à nos devanciers. Mais nous sommes malheureusement confrontés à un dilemme. En effet, dès qu’on est coopté par une compagnie ou un ainé de l’humour, immédiatement nous sommes catalogués. On ne peut plus appartenir ou collaboré avec d’autres compagnies. Bref, l’esprit clanique a pris le dessus et nous ne savons plus à quel saint se vouer » S’est confié désespérément un jeune humoriste à notre rédaction.
L’association des Artistes humoristes du Burkina (AAH-B) présidé par Jean Aimé Bayili regroupe plus d’une centaine de membres. Bien que les leaders ou encore les plus célèbres ont fondé leur compagnie, cela ne les empêchent pas de se réunir en association pour défendre leur intérêt et surtout partager leurs expériences tout en transmettant aux jeunes.

Mais depuis cinq bonnes années, ce groupe commence à s’illustrer par certaines frasques et conflits internes qui commencent à se dévoiler sur la place publique. Avant-hier c’était le triste conflit de leadership autour de deux comédiennes chevronnées Augusta Palenfo et Philomène Nanema, hier, c’était la sortie piteuse dans un média ivoirien de Joe le Rapide qui engendra une profonde animosité entre lui et Moussa Petit Sergent soutenue par une fatwa de la plupart des humoristes burkinabè. Aujourd’hui, c’est Excellence Gérard qui claque la porte de l’Association pour « Convictions personnelles » teintée aussi d’un conflit de leadership qui gangrène ce milieu depuis belle lurette.

Au regard de ce qui ressort des échanges avec certains acteurs de l’art de la scène, quatre clans se seraient spontanément créés. Il s’agit du clan « Moussa Petit Sergent », « Son Excellence Gérard », celui de « Augusta Palenfo » et enfin le clan de « Salif Sanfo ». Il serait strictement interdit voire blasphématoire qu’un membre du clan puisse par mégarde se retrouver sur une scène organisée par un clan « adverse ». C’est considéré comme une trahison actée par un bannissement. Pire même, au sein des membres fondateurs de l’AAH-B, il y a régulièrement des rixes et violents coups de poings. Soit pour simple insubordination ou par l’inactivité d’un membre sur le groupe Whassap. La police a souvent dû intervenir dans certaines de ces exactions. A cause des dates de spectacles, certains se chamaillent, se bagarrent et ne s’adressent plus la parole.

Le Président de l’AAH-B Jean Aimé Bayili que nous avons rencontré hier (21 juillet) a balayé presque du revers de la main, ces supputations. Tout en avouant que les sauts d’humeurs dans un groupe existent partout. « …C’est le showbiz, parfois cela arrive qu’il y ait des écarts de langage dans un groupe ou des petites échauffourées mais il n’y a rien de grave et tout fini toujours par s’arranger. J’apprends par des personnes interposées qu’il y a des clans au sein des humoristes, mais à ma connaissance, je ne l’ai jamais perçu. Tous les humoristes que j’ai proposé aux différents spectacles des collègues ont toujours été accepté… » affirme le président de l’AAH-B. Tout en affirmant avec fierté que l’épineux conflit qui existait entre Moussa Petit Sergent et Joe Le rapide est désormais résolu, ce dernier a également présenté des excuses publiques à l’ensemble des humoristes suite à sa cahoteuse sortie sur une télévision ivoirienne.

L’actualité qui suscite aujourd’hui beaucoup de réactions dans le milieu des arts de la scène et du showbiz en général, c’est la « démission » de l’humoriste Excellence Gérard de l’AAH-B, membre fondateur de surcroit.
Dans nos investigations ; tout serait parti d’une rencontre au Conseil Supérieur de la Communication (CSC) qui aurait été mal interprété par l’AAH-B. Excellence Gérard aurait saisi cette opportunité pour déverser toute sa colère et son indignation vis-à-vis de cette association.

Joint par téléphone hier à la rédaction, Excellence Gérard a affirmé concernant ses bisbilles au sein de l’AAH-B, que tout serait parti d’un communiqué du CSC avant la Semaine Nationale de de la Culture (SNC) qui stipulait ceci : « …Le Conseil Supérieur de la Communication saisit l’opportunité de la Semaine Nationale de la Culture pour adresser cette exhortation aux humoristes, comédiens et tous les professionnels des Arts du spectacle. En cette période de fragilité de notre pays, le CSC vous invite à bannir la comédie agressive et l’humour noir qui sont potentiellement nuisibles à la cohésion sociale et rabaissant… ». Selon certains membres de l’association, Excellence Gérard serait l’instigateur auprès du CSC de ce communiqué. Ce que rechigne ostensiblement l’humoriste ; « Je n’ai jamais été impliqué ni de près ni de loin à la rédaction de cette publication ! ». Affirmant néanmoins qu’il a rencontré le Président du CSC pour le suivi de son projet de Guide de formation des Humoristes qui avait été financé par le Fonds de Développement Culturel et Touristique (FDCT) validé par le CSC. Ce qui n’aurait rien à voir avec les propos dont on l’accuse. Signalons que le journaliste et Directeur de Publication du Journal Info Sciences Culture, Cyr Payim OUEDRAOGO a été coopté pour la coécriture de ce Guide.

Selon Cyr Payim Ouédraogo joint aussi au téléphone, il a affirmé que la descente de Gérard au CSC n’avait aucun lien avec l’AAH-B. « Il est allé rencontrer le CSC pour le suivi et l’élaboration de son projet de Guide. Par ailleurs ; le communiqué du CSC à l’endroit des humoristes en marge des préparatifs de la SNC qui s’en est suivi après, n’était qu’une pure coïncidence. J’invite plutôt les humoristes à faire preuve de cohésion surtout en ce temps de crise sociale » affirme-t-il.

Pour en savoir davantage, les membres de l’association avaient convié Excellence Gérard afin qu’il explique les raisons de sa rencontre avec le Président du CSC et la diffusion de ce communiqué. Après de longs échanges, les membres ont accepté la thèse du quiproquo et de la non-ingérence de ce dernier dans ce communiqué.
Interrogé sur la question, leur président Jean Aimé Bayili a été surpris de la réaction de leur ex membre lors de leur rencontre de mise au point. « …A la suite de son audition devant les membres de l’association, nous avions tous compris qu’il n’a été ni de près, ni de loin mêlé dans le communiqué du CSC et sa présence n’avait aucun rapport avec cette sortie médiatique. Mais ce qui nous a surpris ; juste après les échanges, Gérard s’est mis, séance tenante, à décrier, à noircir et à débiner l’association avant d’affirmer qu’il démissionne. Personne ne lui a rien dit, mais on était tous abasourdis par sa réaction »
Un autre climat délétère règne donc en ce moment au sein des humoristes. Les jeunes qui nous ont approché se disent choqués et ne savent plus à quel saint se vouer, notamment avec cette question de clan. « …Il faut aussi savoir que les jeunes d’aujourd’hui en font un peu trop ! Certains cherchent parfois à mettre de l’huile dans le feu en suscitant des oppositions qui n’existent pas. Ils sont trop pressés. Je les invite à être studieux dans leur apprentissage et à faire plus d’efforts. C’est ça le plus important. » rétorque Jean Aimé Bayili.
Pourtant, l’heure est aujourd’hui de réfléchir ensemble à comment l’humour et la paix sont en train de métamorphoser notre vision de la société, en nous permettant d’ouvrir notre cœur. Ils permettent de faire évoluer chaque cellule de notre âme et de la société toute entière. La haine et les animosités internes saupoudrées par des conflits d’égos ne devraient pas exister dans cette filière qui fait pourtant la fierté de l’industrie du spectacle burkinabè.
Hervé David HONLA