Idrissa OUEDRAOGO Jr (cinéaste) : « Le cinéma burkinabè est sous perfusion ! »
Regards

Idrissa OUEDRAOGO Jr (cinéaste) : « Le cinéma burkinabè est sous perfusion ! »

Votre magazine OXYGENE MAG dans sa volonté manifeste de vous faire vivre au jour le jour le maximum d’actualités cinématographiques ici au Festival de CANNES, s’est volontairement engagé à faire parler un jeune réalisateur burkinabè ici au festival. Il s’agit d’Idrissa Ouédraogo Junior. Il est présent pour des projets de coproductions, des échanges, des tournages. Issu de cette vague de la nouvelle génération, il donne son avis sur le cinéma burkinabè. Lisez plutôt !

 

Portez le nom d’Idrissa OUEDRAOGO, c’est un honneur dans le monde. Dites-moi ; quel est votre lien de parenté avec cet illustre personnage ?

C’est vrai qu’ici à CANNES, quand les festivaliers lisent sur mon badge, Idrissa OUEDRAOGO, ils s’exclament en me disant que je suis le fils d’Idrissa OUEDRAOGO. Je suis un fils spirituel d’Idrissa. Il a eu dans sa vie privée trois enfants, mais il a plus de milles enfants partout ! Notamment ceux qui viennent de la rue comme nous. Ma relation avec Idrissa, c’était comme la relation d’un père à un fils.

Comment s’est passée votre rencontre avec Idrissa Ouédraogo ?

Je n’étais pas du tout prédestiné à faire du cinéma ; j’étais un tâcheron dans le domaine de la construction bâtiment. Je faisais des travaux de peinture et de revêtement. Puis un jour j’étais en train de repeindre une villa à côté de la sienne. Dans les échanges, il me pose des questions sur ma vie. Plus tard il me propose de venir dans un de ces plateaux de tournage pour voir s’y ça va m’intéresser. C’est comme ça que tout est parti dans le cinéma.

Le cinéma possède une panoplie de métiers. Quel est celui que tu as adopté ?

En effet, ma carrière dans le cinéma a commencé en 2000 quand Idrissa faisait des spots publicitaires sur le SIDA. Pour me tester, il m’a demandé lors du tournage de jouer la scène où je dois me pendre. Plus tard quand je l’accompagnais, j’ai fini par comprendre que le jeu d’acteur ne m’intéressait pas. J’ai fini par préférer m’occuper de tout ce qui est logistique et les câbles, car j’aimais plutôt la technique. C’est comme ça que les métiers derrière la caméra m’ont intéressé.

Aujourd’hui quel est votre métier dans le cinéma ?

Je me définis comme un cinéaste en herbe. Le rôle que j’ai envie de jouer dans cette filière, c’est de transmettre. Certes, je suis réalisateur et je ferai beaucoup de films. D’ailleurs je suis en train de réaliser un documentaire sur Idrissa Ouédraogo. J’étais dernièrement au FESPACO où j’ai fait des animations avec des tout-petits juste dans le but de transmettre. J’ai surtout rencontré le réalisateur Michel ZONGO que je qualifie de deuxième Idrissa Ouédraogo, grâce à ses idées, sa vision et son talent.

Moi j’ai appris le cinéma dans le tas, mais j’ai eu un bon professeur !

 

Vous êtes installé officiellement en France. Pourquoi avez-vous décidé de quitter votre pays ?

C’est d’abord pour des raisons familiales et ensuite, j’estimais qu’il y avait quelque chose qui me manquait. J’avais besoin d’apprendre d’autres choses dans le domaine technique du cinéma. Mais le Burkina ne pouvait pas toute suite me l’offrir. Idem dans le choix des images que nous devons faire voir dans le monde, il a fallu que je vienne en France pour mieux comprendre.

Quelles sont les œuvres que vous réalisez ici en Europe ?

Je réalise beaucoup de reportages entre l’Afrique et l’Europe. Quand je suis arrivé ici en France, je suis allé voir mes mentors notamment le regretté Amobe Mevegue qui me manque beaucoup, pour renforcer mes capacités. Je travaille avec une boite de production ici en France où nous sommes sur la réalisation d’un documentaire sur Idrissa Ouédraogo. C’est un grand challenge pour moi, à la fois pour faire mon deuil et m’ouvrir de grandes portes.

Il ne faut pas attendre le budget de l’Etat pour bouger.

 

Quel est le contenu de ce documentaire ?

Pour l’instant, nous sommes en pourparlers avec le CNC pour le financement. Nous avons obtenu le financement de l’OIF, notamment l’aide à l’écriture. Raconter Idrissa Ouédraogo si on n’y prend pas garde, on déposera sa caméra partout dans le monde. Nous avons choisi de tourner entre Dakar, qui est sa deuxième ville, le Burkina, la France, la Russie et certains pays en Europe. Car Idrissa à lui tout seul, incarnait le cinéma. La coproduction est assurée par Lady Bird Film et des producteurs africains notamment béninois, sénégalais et celle de la maison de Michel Zongo. Nous prévoyons présenter ce film documentaire dans deux ans en 2025.

Jeune burkinabè que vous êtes. Quel est le regard actuel que vous portez sur le cinéma burkinabè ?

Le cinéma burkinabè est sous-perfusion ! Il n’est pas mort, mais il est quand même sous perfusion. Il y a notamment des jeunes qui traitent des vrais sujets, mais, je pense que le vrai problème du cinéma burkinabè va au-delà des moyens financiers de production. Tout est une question de technique, de qualité et d’image et d’histoire à raconter. Moi j’ai appris le cinéma dans le tas, mais j’ai eu un bon professeur ! Il faudrait mettre à jour les formations. Quand on finit une école de cinéma, il ne faut pas immédiatement se lancer dans les grandes compétitions ou des grands projets. Il faut d’abord s’initier et se performer dans les courts métrages. Certes tous les cinémas doivent exister, mais quand on se lance dans des cinémas d’auteur, il faut être patient et accepter apprendre.

“Il y a tout à gagner à Cannes ! C’est ici que ce décide la carrière d’un film.”

 

On parle beaucoup d’absence de financement de l’Etat dans l’industrie du cinéma burkinabè. Quelle est votre appréciation ?

Il faudrait qu’il y ait un vrai fonds alloué essentiellement sur le cinéma burkinabè. Le cinéma burkinabè ne décolle pas aussi, parce que les réalisateurs ne font pas aussi des sujets qui accrochent. Si tu as un sujet qui accroche, tous les guichets te sont ouverts. Au-delà des moyens de l’Etat, il faut surtout aller chercher des financements ailleurs en acceptant d’aller à la rencontre des professionnels dans des festivals au monde. Il est impératif que les jeunes eux-mêmes mettent la main à la poche pour aller présenter leur projet ailleurs. Enfin, la coproduction est aujourd’hui la meilleure alternative. Surtout éviter de « prostituer » votre projet en acceptant qu’un label le tripatouille de partout.

Pour un cinéaste burkinabè comme vous, quel avantage tirez-vous en venant au festival de CANNES ?

Il y a tout à gagner à Cannes ! C’est ici que ce décide la carrière d’un film. Parce que tous ceux qui participent à construire un film, sont là ! En Afrique, on dit : « si tu ne vends pas ta maladie, personne ne te trouvera son remède ». Le cancer qui gangrène le cinéma africain, c’est ici qu’il faut le guérir. Ce que les sénégalais ont battit comme plan d’action, aujourd’hui ça paye. Mati Diop a eu la PALME D’OR il y a quatre ans, aujourd’hui, Ramata-Toulaye SY est en compétition officielle. C’est aussi ça la preuve qu’en venant à Cannes, on réalise des projets. Il y a des très bons cinéastes au Burkina, mais il faut aller chercher les financements ailleurs. Il ne faut pas attendre le budget de l’Etat pour bouger. Il faut aller à la rencontre de ceux qui peuvent vous aider à construire un film. Et Cannes est le lieu rêvé !

Hervé David HONLA

 

 

X