Les SOTIGUI AWARDS communément appelés la Nuit des SOTIGUI sont des récompenses annuelles dédiées aux acteurs et comédiens du cinéma africain et de sa diaspora. Son initiateur n’est autre que le burkinabè Kevin Mone. Cette cérémonie qui vise à valoriser et à récompenser, dans diverses catégories, les meilleurs talents du cinéma africain à travers le monde est à sa septième édition. Ma prochaine édition aura lieu du 8 au 11 novembre 2023. Nous sommes allés à la rencontre de ce jeune promoteur qui nous dresse cet épineux problème du statut de l’acteur dans l’industrie du cinéma et la place qu’occupe aujourd’hui cet évènement dans le continent. Entretien exclusif réalisé le 25 mars 2023.
- Comment est née cette idée de créer les SOTIGUI AWARDS ?
Les SOTIGUI sont nés dans l’envie de rétablir une certaine justice. C’était important pour nous de saluer notre cinéma en mettant en valeur les talents que sont ; acteurs, comédiens du cinéma africain de sa diaspora. Car pour nous, ce sont les acteurs qui incarnent les rôles et font rêver les cinéphiles. Malheureusement notre industrie du cinéma, les acteurs sont quasiment absents. Il était important pour nous de redorer le blason de ces acteurs-là.
- Plus tard, il y a eu l’Académie des SOTIGUI, quelle est la différence ou la complémentarité entre les deux ?
L’académie des SOTIGUI est composée de dix collèges de métiers. Les dix collèges des métiers, c’est autant les réalisateurs, autant de scénaristes, autant de d’acteurs…c’est toutes ces personnes qui composent l’Académie des SOTIGUI. Ce sont ces personnes qui œuvrent à la sélection des nominés après avoir visionné les films. Ensuite, ils procèdent, dans une plateforme sécurisée à la désignation des lauréats en fonction des votes. Nos académiciens sont dispersés partout dans le monde et ce sont des éminents cinéastes africains qui procèdent donc à la désignation, au visionnage et aux à la régularisation des votes par catégorie et à la proclamation des lauréats. Ils sont des membres de l’Académie des SOTIGUI !
- A quelle période, les potentiels candidats peuvent déposer leurs films ?
C’est à partir du 15 mars jusqu’au 30 juin de chaque année. On a déjà lancé l’appel à film, nous avons reçu près d’une cinquantaine de films déjà ! Cela montre déjà l’engouement que les gens ont vis-à-vis des SOTIGUI. Une fois que l’on clôture les dépôts, en juillet et août, les Académiciens vont travailler à pouvoir sélectionner les lauréats avec le concours du comité d’organisation des SOTIGUI.
- Parlons maintenant de bilan sept éditions après…
C’est un bilan positif ! Comme les uns et les autres l’affirment, si les SOTIGUI n’existaient, il fallait les créer. D’aucuns vont même affirmer que je cite ; « Depuis l’abolition de l’esclavage, il n’y a que deux évènements majeurs dans le monde qui magnifie autant la bravoure des noirs ». Les SOTIGUI sont devenus aujourd’hui, une référence mondiale.
- La prochaine édition aura lieu du 8 au 11 novembre 2023.Est-ce que les SOTIGUI seront itinérants ou ils resteront définitivement au Burkina ?
C’est certes un projet majeur pour nous car les SOTIGUI récompense des acteurs et comédiens dans plus de 54 pays d’Afrique. Mais son organisation n’est pas une simple partie de plaisir. Ce qui nous intéresse pour le moment, c’était de se concentrer sur l’UEMOA. Pour un tel projet, il fallait obligatoirement que l’UEMOA achète le projet ! Que l’UEMOA soit le partenaire de cet évènement pour rallier toutes ces capitales d’Afrique en parlant de Culture cinématographique. La mobilisation des fonds pour un évènement de cette envergure est quelque chose de majeur. Nous lever aujourd’hui et aller en République de Côte d’Ivoire et taper aux portes, je pense que ce n’est pas professionnel. Ce n’est pas nous de le faire. En passant par exemple par l’UEMOA en tant que porteur du projet, serait encore plus crédible et plus représentatif. Il y a des institutions qui aujourd’hui ont besoin de passer par la Culture pour fédérer leur énergie et atteindre leur objectif et public cible. Dans un premier temps, L’UEMOA peut saisir les SOTIGUI pour vendre la culture africaine à travers le continent et dans le monde ensuite, on pourrait explorer les pays anglosaxons et autres…voire l’Union Africaine.
- Le constat est alarmant. Les acteurs et comédiens africains ne sont pas valorisés dans les évènements de distinctions du cinéma africains. Comment remédier à cela ?
Je pense que la base a été faussé au départ. Pour éviter de polémiquer, l’industrie du cinéma africain tourne toujours autour du réalisateur. C’est à lui qu’on dévoile le tapis rouge, c’est lui qui glane les prestigieux prix, bref, c’est lui qui est devant les feux des projecteurs. Les acteurs ont toujours été les personnes de seconde zone, on n’a jamais créé des pass pour ces acteurs-là afin de le mettre vraiment en avant. Pourtant en Europe et aux USA, je ne connais même pas le réalisateur d’un film ! C’est l’acteur qui est le produit du film. Je pèse mes mots : depuis l’avènement des SOTIGUI, les gens ont compris qu’il fallait changer de paradigme et revoir la stratégie. De plus en plus, si vous remarquez depuis que les SOTIGUI existent, on a commencé petit à petit à parler de l’acteur et des comédiens. La star du film, ce n’est pas le réalisateur mais toujours l’acteur. Au-delà de pouvoir les aduler en les mettant sous les feux des projecteurs, il faudrait aussi revoir leur salaire. C’est de ça qu’il s’agit !
- Parlant des salaires ; lors de FESPACO qui vient de s’écouler, il y a eu des films qui ont été primé mais malheureusement, certains acteurs et techniciens n’ont pas été payé. Quelle analyse faites-vous ?
Les SOTIGUI ont commencé depuis quelques semaines une campagne ou du moins une sorte de plaidoyer où on a dit : quand vous levez des fonds, payez aux acteurs/comédiens le salaire qui leur est dû. Nous avons remarqué que quand on finit de lever des fonds, 500 Millions…300 Millions, on peut réserver 100 Millions pour le film, mais les 200 Millions vont où ? Certains pensent que ces acteurs sont vraiment des nécessiteux qu’ils n’ont pas aussi le droit de gagner de l’argent ! Surtout que malheureusement dans nos Etats, il n’y a pas de cadre légal pour protéger les acteurs et comédiens. A quand un barème légal pour les acteurs et comédiens ? C’est de ça qu’il s’agit ! (Ndlr : Kevin hausse le ton) S’il y avait un barème légal et appliqué dans l’UEMOA, quand j’ai levé 300 Millions pour mon film, je sais que pour le premier rôle de l’acteur, je dois payer au moins 12 Millions ou 15 Millions. Le problème est purement institutionnel. Il est temps de reposer le débat avec un langage de vérité en affrontant les sujets les plus sensibles, notamment sur les barèmes de payement des acteurs et comédiens en fonction de leur rôle dans un film. Bref, il faut créer impérativement des états généraux du cinéma africain.
- On n’a pas vu les SOTIGUI, ni les organisateurs des SOTIGUI lors du dernier FESPACO. Qu’est ce qui justifie cela ?
Les SOTIGUI ont toujours mis en avant le FESPACO car le FESPACO est une institution panafricaine et mondiale. Monsieur Hervé HONLA, vous conviendrez avec moi, que on ne vous invite pas à table, il ne faut pas y aller ! Nous avons l’expertise aujourd’hui en termes d’organisation des activités liées à la cinématographie et nous pouvons faire rêver les festivaliers au FESPACO. Les courriers avaient été déposé et toutes les propositions. Vous conviendrez avec moi que : à un moment donné le FESPACO reste la chasse garder de certaines personnes. On ne peut pas aller au-delà de l’approche qu’on a fait pour pouvoir accompagner notre pays. Pour le dernier FESPACO, les SOTIGUI ont été nullement appelé ni approché.
- Quant au Ministère de tutelle, comment peut-il accompagner les SOTIGUI ?
J’avoue que quand nous avions approché l’ancien Ministre Valérie KABORE, elle nous avait bien compris et surtout bien orienté. Elle avait d’ailleurs bien compris la nécessité d’organiser les SOTIGUI AWARDS. Bref, elle avait montré en quoi les SOTIGUI étaient une plus-value sur l’échiquier de la Culture burkinabè en particulier et dans l’industrie du cinéma africain en général. J’espère que c’est le même sentiment qui anime notre Ministre actuel que nous n’avons pas encore rencontrés. Mais, je milite pour dire qu’il est temps que l’Etat alloue une ligne budgétaire pour les SOTIGUI afin de tenir l’événement sur une longue pour devenir plus tard une affaire des Etats de l’UEMOA ou de l’Union Africaine. Par exemple un évènement comme les SOTIGUI en termes de coût d’organisation vaut 500 Millions de F CFA. Les SOTIGUI viennent non seulement pour renforcer l’image de marque du Burkina Faso mais aussi et surtout des comédiens et acteurs africains et de sa diaspora.
- Pour la huitième édition des SOTIGUI AWARDS, à quoi devrait-on s’attendre ?
Les SOTIGUI ont décidé pour cette année, d’être vrai ! Nous allons parler cette année de la situation des acteurs et comédiens du cinéma africain. Notamment sur la situation des salaires ! Nous allons creuser l’abcès pour le soigner et faire des propositions avec des grilles salariales que nous allons proposer aux Etats et à l’UEMOA. Car on ne peut plus attendre ! Tout est urgent. Nous allons faire notre part du travail pendant ces quatre jours de l’évènement pour ressortir avec des propositions salariales concrètes, que nous allons soumettre au Ministère de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme.
- Pour terminer, une des membres de l’Académie des SOTIGUI, en l’occurrence Apolline TRAORE a reçu l’Etalon d’Argent lors du dernier FESPACO. Quel est votre sentiment ?
Apolline TRAORE, c’est une grande Dame. Les ambitions que Apolline TRAORE possède pour le cinéma africain et burkinabè en particuliers sont gargantuesques. Elle veut prouver qu’au-delà du fait qu’elle soit une femme, qu’elle est capable de faire beaucoup de choses. Elle possède ce talent que les autres n’ont pas et je pense qu’elle ira encore plus loin. Ce qu’on vient de voir, ce n’est encore rien ! Dans deux voire trois ans, elle reviendra encore plus haut avec d’autres projets de grandes envergures. Tout ce qu’on peut lui souhaiter, c’est d’aller de l’avant et qu’elle ne lâche pas l’affaire. Qu’elle continue à booster notre cinéma et qu’elle arrive à se positionner au sommet comme une valeur sure du contient. Je suis certain qu’elle n’a pas encore tout dévoilé et le meilleur reste à venir.
Propos recueillis par Hervé David HONLA