C’est un secret de polichinelle ; la culture cinématographique burkinabè est l’une des plus développées en Afrique, surtout grâce au FESPACO. Considéré depuis belle lurette comme étant la capitale du cinéma africain, pour accueillir depuis 1969, la biennale du festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO).
Le cinéma burkinabè a connu des années de gloire notamment à travers son expression mais aussi grâce aux hommes et femmes qui ont permis de porter haut l’identité cinématographique nationale. Nous pouvons citer entre autres : Gaston Kaboré, Idrissa Ouédraogo, Wabillé Niabé, Missa Hébié, Kollo Daniel Sanou, Dani Kouyaté, Guy Désiré Yaméogo, Fanta Régina Nacro, Amina Diallo Glez, Pierre Roamba, Abdoulaye Dao, Adam Roamba, Apolline Traoré ou encore Pierre Yaméogo…
Certes l’industrie du 7è Art Burkinabè soit une référence sur le continent africain et surtout au-delà, fort est de constater que la conjoncture qui s’impose a porté des coups durs, traduisant ainsi le manque de qualités de productions cinématographiques et une absence totale de transmission au moment de l’avènement du numérique dans le cinéma.
Aujourd’hui nous assistons à une nouvelle génération de cinéastes et aussi de techniciens du cinéma qui s’expriment tant sur le plan national qu’international. Grâce aux rivalités vécues et d’autres parts leur volonté de vouloir se surpasser en allant à la rencontre des marchés internationaux, certains sont en train d’explorer d’autres niches de financements, de productions et de réalisations à moindres coûts. Beaucoup n’hésitent plus à s’exprimer sur les réalités vécues mais aussi, ils apportent leurs regards sur l’avenir du cinéma burkinabè à travers leurs thématiques et l’écriture des scénarii.
Comme le reflet des dessous du cinéma burkinabè, le cinéma francophone africain et burkinabè en particulier, au début des années 2000, ne s’est pas seulement caractérisé par la fermeture de guichets de financements, mais aussi par l’absence totale d’une prise en charge des Etats. Ce qui a eu des incidences notamment sur la production cinématographique locale. Les premières utilisations de dispositifs numériques à cette époque, étaient biaisées par les ainés. Car ils ne voulaient pas s’en servir et le FESPACO avait même tarder à l’accepter dans ses sélections. Ce qui a engendré une baisse sensible des coûts de production. Cette réalité est commune à toute l’Afrique de l’Ouest francophone.
Aujourd’hui, il faudrait sincèrement que l’Etat burkinabè s’appesantisse clairement sur son cinéma. On peut se demander : Quel rôle l’État burkinabè peut jouer pour favoriser une plus grande production cinématographique nationale ? Au lieu d’attendre toujours le dernier trimestre qui précède cette biennale pour bénéficier d’un coup de pouce financier microscopique d’un Chef d’Etat aux cinéastes.
Malgré la politique de subventions publiques (malheureusement les fonds attribués sont très faibles) la filière cinématographique burkinabè peine à donner des résultats satisfaisants. En effet, cette filière fonctionne mal depuis de longues années et certains métiers ne sont pas formalisés voire, chacun se forme sur le tas. Au niveau surtout de la distribution cinématographique burkinabè, ce secteur ne fonctionne plus correctement. Cela amène des réalisateurs, producteurs, exploitants de salles à faire office aussi de distributeurs.
L’une des raisons fondamentales qui fait que l’industrie du cinéma burkinabè piétine et que l’Etalon d’or de Yennenga s’éloigne de plus en plus des cinéastes burkinabè, c’est le financement.

En faisant une comparaison taciturne, Le FONSIC (Fonds de Soutien à l’Industrie Cinématographique de Côte d’Ivoire) est doté de 800 millions à 2 milliards de FCFA par an. Celui du FOPICA (Fonds de Promotion de l’Industrie Cinématographique du Sénégal) est doté de 2 à 4 milliards de F CFA par an. En 10 ans, le Sénégal a reporté deux Etalons d’Or de Yennenga (2013 et 2017) grâce à Alain Gomis. Au Burkina Faso, il n’y a pas de Fonds spécial alloué au cinéma.
L’autre cas de figure est assez complexe et subtil ; le financement reste l’un des principaux obstacles entravant la production cinématographique burkinabè, en ce sens que ce problème empêche les cinéastes de présenter l’Afrique ou le Burkina à travers leurs yeux, sans être sous l’influence des visions idéologiques et politiques des bailleurs de fonds en dehors du continent. Beaucoup sont encore assujettis aux désidératas des financiers européens et autres.
Qu’à cela ne tienne ; la 28e édition du FESPACO se tiendra du 25 février au 4 mars 2023 à Ouagadougou. Sous le thème : “Cinéma d’Afrique et Culture de la paix“. La sélection officielle a été dévoilé le vendredi 13 janvier dernier. Ainsi les quinze (15) films retenus pour la biennale du cinéma africain, exclusivement dans la course à l’Etalon d’Or de Yennenga, sont les suivants :
– « Abu Saddam » (89 mn) de l’égyptien Nadine Khan
– « Ashkal » (92 mn) du tunisien Youssef Chebbi
– « Bantu Mama » (77 mn) du dominicain Ivan Herrera
– « Mami Wata » (107mn) du Nigérian C.J « Fiery » Obasi
– « Maputo Nakuzandza » (60 mn) de la mozambicaine Ariadine Zampaulo
– « Mon père, le diable » (108 mn) du camerounais Elie Foumbi
– « Our Lady of The Chinese Shop » (98mn) de l’angolaise Ery Claver
– « Shimoni » (97mn) de la kenyane Angela Wamai
– « Simin Zetwal/Regarde les étoiles » (92mn) du mauricien David Constantin
– « Sira » (120mn) de la burkinabè Apolline Traoré
– « The Blue Caftan/ Le bleu Caftan » (123mn) de la marocaine Maryam Touzani
– « The Last Queen/La dernière reine » (113mn) de l’algérien Damien Ounouri
– « The planters plantation/La plantation des planteurs » (114mn) du camerounais Dingha Eystein Young
– « Under the fig trees/Sous les figues » (92mn) du tunisien Erige Sehiri
– « Xalé, Les blessures de l’enfance » (101mn) du sénégalais Moussa Sene Absa
En résumé ; nous avons deux (2) films camerounais et deux (2) films tunisiens qui battent le record du nombre de films des pays inscrits à la compétition Long métrage Fiction. Le Burkina Faso avec son film « Sira » d’Apolline TRAORE est le deuxième film le plus long (120mn) après « The Last Queen/La dernière reine » (113mn) de l’algérien Damien Ounouri. Le Cameroun est le seul pays de l’Afrique central représenté au FESPACO dans cette catégorie. Les grands absents sont l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire.
Quelles peuvent être les chances d’Apolline TRAORE ?
A 47 ans, Apolline TRAORE est la fleur de la maturité professionnelle dans l’industrie cinématographique. Certes, il y a eu les plus jeune qu’elle qui ont soulevé l’Etalon D’Or, mais cette fille de diplomate, maîtrise tous les rouages et métiers du cinéma. Polyglotte de son état et spécialiste en Art de la Communication, l’ex étudiante de Emerson College aux Etats-Unis est réalisatrice de plusieurs courts métrages dès 2000. Son film « Kounandi » sortie en 2004, avait été sélectionné au Festival international du film de Toronto au Canada. Ce qui lui a permis de faire une parfaite transition vers le long métrage avec son premier film « Sous la clarté de la lune » la même année. Contrairement aux autres à cette époque, Apolline décide l’année d’après, de rentrer définitivement au Burkina Faso surtout pour se mettre au service du baobab Idrissa OUEDRAOGO. D’expériences en expériences, en 2008, elle réalise une série télévisée « Le testament », uniquement pour mieux assimiler toutes les formes de tournage. Mais c’est surtout dans les longs métrages qu’elle décide de s’illustrer. Le véritable déclic survint avec la sortie de « Moi Zaphira » en 2013 et surtout le boom médiatique, c’est avec « Frontières » en 2018. Ce film a bourlingué sur toute la planète remportant de nombreux trophées dont trois prix : prix CEDEAO du meilleur film ouest-africain sur l’intégration Prix Félix Houphouët-Boigny, Prix Robeson en 2017 au FESPACO. La confirmation viendra en 2019 avec « Desrances », son quatrième long métrage qui recevra au FESPACO, le prix du meilleur décor. Ce film connaîtra également un véritable succès planétaire en étant ; en décembre 2019, le film qui a été primé trois fois au Festival International de Kerala en Inde. Toujours avec ce film, la même année, elle sera distinguée trois fois aux SOTIGUI AWARDS avec ; SOTIGUI du Meilleur plus Jeune Acteur Africain 2019 avec Nemlin Jemima Naomi, le SOTIGUI du Meilleur Acteur du cinéma africain de la Diaspora. « Desrances » s’est ensuite retrouvé au Bénin en remportant le Grand prix Buste d’Or Paulin Soumanou Vieryra lors des Rencontres Cinématographiques et Numériques de Cotonou (RECICO). Il y a deux ans en 2020, ce même film avait été nominé dans dix catégories à la 16è édition des African Movie Academy Award (AMAA).

Elle revient affronter cette biennale tant convoitée par les cinéastes africains avec son tout dernier long métrage « Sira ». C’est la petite histoire d’une jeune fille peulh qui bourlingue le désert afin de se rendre dans un village pour épouser son fiancé. Malheureusement, dans cette zone, règne une violence atroce où les hommes sont massacrés par des parricides. La jeune Sira a été violée et laissé pour morte ans ce désert. Sira se retrouve seule face à son destin et commence une lutte pour sa survie. Une forme de vengeance et d’entourloupe alimente la jeune fille contre ses terroristes. Tandis que d’autres parts, son fiancé est à sa recherche…

Un film qui fera tâche d’huile au FESPACO et dans le monde. Déjà, pour certains critiques avisés, c’est le film le plus attendu à cette 28è édition du FESPACO. D’autant plus que ce film est d’actualité au regard de la situation que traverse les pays du Sahel et notamment le Burkina Faso. Comme à une certaine époque avec “Heremakono” du mauritanien Abderrahmane Sissako.
Sans toute fois lire dans les pensées de la réalisatrice, c’est son challenge majeur cette année : l’ETALON D’OR de YENNENGA ou rien ! C’est d’ailleurs l’avis de l’ensemble des Burkinabè qui font bloc sur leur compatriote, la seule ambassadrice attitrée du cinéma burkinabè dans le monde depuis cinq bonnes dernières années. Surtout que cela fait exactement 26 ans que le Burkina Faso n’a plus remporté ce sacre. Après « Tilai » d’Idrissa Ouédraogo en 1991 et « Buud yam » de Gaston Kabore en 1997, plus rien jusqu’à ce jour. Aucune femme ne l’a également remporté.
Et si 2023 était la bonne ? C’est-à-dire l’année de la femme, l’année d’Apolline TRAORE et l’année du cinéma burkinabè.
Hervé David HONLA