Odyssée d’un trajet aquatique entre Pâ et Boromo
Edito Point de vue Regards

Odyssée d’un trajet aquatique entre Pâ et Boromo

J’ai séjourné à Bobo-Dioulasso du 19 au 22 Août 2022 pour une rencontre Master Class que j’ai dispensé au profit des apprenants d’une structure incubatrice SYA PROD SCHOOL. Tout s’est, pour le mieux bien passé au niveau de cette « 1ère session de Formation en Animation d’émissions Télé et Radio ». Mais mon retour sur Ouagadougou a été anecdotique et baroque !

 

La ville de Pâ, chef-lieu du département et la commune rurale de Pâ, situé dans la province des Balé et la région de la Boucle du Mouhoun à 225,1 KM sur la N1 de Ouagadougou, est le théâtre depuis quelques jours, des scènes en circulation surréaliste voire rocambolesque. Faut-il en rire ou en pleurer ?

 

Toujours est-il que le scénario est hallucinant. En effet, suite aux pluies diluviennes qui s’abattent sur une bonne partie des provinces du Burkina Faso, certaines routes et chaussées sont nettement enclavées et impraticables. Sur le tronçon Pâ/Boromo, il se passe de tout commentaire !

A l’issue de mon Master Class dispensé le samedi 20 août, je décide de reprendre, le lendemain dimanche, un car de transport en commun pour regagner Ouagadougou. Installé impérialement dans ce car VIP, attendant, le coup d’accélérateur du chauffeur ; une charmante hôtesse s’empare soudainement du micro avec une voix tremblotante pour dire ceci : « Suite à l’état de la route lourdement trempé d’eau, nous allons devoir suspendre le départ d’aujourd’hui, pour vous inviter demain lundi à la gare pour le prochain départ. Toutes nos excuses pour ce désagrément ». S’en sont suivis des grognements et des bougonnements dans le car. Je me suis simplement rendu à la caisse pour annuler mon départ et le reprogrammer pour demain par un autre moyen.

De temps en temps au volant, Maï n’hésitait pas à chanter ostensiblement avec sa magnifique voix, tous les tubes qui défilaient dans le lecteur

Le lendemain Lundi 22 août, la sublime et complaisante star de notre musique, présidente de l’ABFAM, Maï Lingani (Présente aussi à Bobo-Dioulasso pour la même activité), me propose de me prendre dans son somptueux véhicule afin qu’ensemble, nous fassions le périple de Ouagadougou.

Après naturellement quelques achats (Chitoumou, Légumes, fruits, eau et friandises) à la sortie de Bobo-Dioulasso ; cap sur la N1, avec bien sûr dans le lecteur du véhicule, le riche répertoire de l’artiste. Rien qu’à deux dans le véhicule, nous écoutions docilement les merveilleux tubes de l’artiste. De temps en temps au volant, elle n’hésitait pas à chanter ostensiblement avec sa magnifique voix, tous les tubes qui défilaient dans le lecteur. A la fois abasourdi et heureux à ses côtés, je me délectais de sa belle voix en a capela s’il vous plaît ! De temps à autres, je formulais quelques critiques sur des chansons et nous en discutions dans une ambiance très bon enfant.

“Que se passe-t-il”

Emporté par la bonne ambiance musicale qui régnait dans le véhicule, nous sommes tombés nez à nez devant une impressionnante file de camions et poids lourds à la sortie du centre-ville de Pâ. « Que se passe-t-il ici ? » s’exclame Maï Lingani en appuyant son pied droit sur le frein. « Certainement, c’est l’état désastreux de la route dont les gens en parlent… » ai-je retorqué. Immédiatement, une panique générale s’empare du visage de la star ! « Hoooo ! Donc le monsieur du péage nous a berné ! Il nous a dit de passer par Léo… » renchérit-elle toute dépitée.

Longue file de camions avant de traverser le “barrage”

Pendant ce temps, nous voyons une quinzaine d’adolescents qui accourent vers notre véhicule pour se porter volontaire de nous aider. Visiblement, c’est devenu monnaie courante dans la zone. Sans paniqués, bien au contraire tout heureux de voir un véhicule à cet endroit, ils nous proposent leur service : c’est à dire : ils poussent le véhicule, moteur éteint sur 3 à 4 km pendant que nous restons à l’intérieur. En effet, la montée de l’eau sur cette chaussée atteint les 115cm. Impossible d’y traverser avec un véhicule au châssis bas. Uniquement les 4WD en pleine forme peuvent s’y aventurer. Pendant que les jeunes énonçaient leurs stratagèmes face aux vitres de nos portières, Maï s’enfonçait dans la panique et l’accablement. « Hoo ! Mon Dieu, qu’est-ce qu’on va faire …Mon moteur sera foutu…Ehhh Dieu… ». Tandis que moi par contre ; j’étais presque heureux d’assister et de vivre une telle scène. Bref, j’étais au cœur de l’info et je scrutais toute la scène. Certains camions étaient renversés dans cette eau avec les 16 pneus en l’air. D’autres parts, les jeunes poussaient les véhicules qui osaient s’aventurer dans ce barrage ahurissant. Dans les côtés, hommes et femmes en motos, prenaient le risque de traverser, tous trempés jusqu’aux cheveux sans aucune frayeur. Observant cette scène hallucinante, écoutant et analysant les propos des jeunes avec les renseignements des agents de la société d’électricité nationale qui venaient de traverser cet obstacle, nous avons enfin pris la décision de franchir cette ce « barrage ». C’est-à-dire faire face à ce destin qui hantait de plus en plus l’auteure de « Madou », « Sira djan » ou encore « koamba djin karaongo » !

Le paquet de mouchoir acheté plutôt était presque vide par les sueurs froides.

Pendant qu’on tergiversait pour trouver la bonne décision, des admirateurs de passage marquaient un temps d’arrêt pour nous saluer. Heureux de nous voir physiquement en face d’eux, ils n’hésitaient pas à nous appeler par nos noms en guise de reconnaissance. Pourtant, ce qui nous préoccupait c’était comment sortir de ce bourbier ?

C’est devenu un décret des villageois : pour accepter l’aide de ces jeunes, il faut débourser la somme de dix milles (10 000 FCFA). A prendre ou à laisser, et retourner à Bobo-Dioulasso pour emprunter le chemin de Dédougou. Dans une véritable peur bleue, la Princesse du Boulgou se décide enfin d’accepter les propositions des jeunes et des techniciens de l’électrification nationale. Le paquet de mouchoir jetable posté sur le tableau de bord du véhicule qu’elle avait acheté un peu plus tôt, s’est presque vidé de son contenu. Chaque 10 secondes, Maï Lingani tirait un mouchoir pour assécher son visage qui dégoulinait abondamment de sueur. Elle a subitement coupé sa musique du lecteur de son véhicule. Le moment et l’esprit n’étaient à la chanson ! « Nous sommes dans problème ici ! Ce n’est pas ma musique qui va nous sortir de là ». Certainement c’est cette phrase qu’elle a prononcé intérieurement avec d’éteindre brusquement son lecteur.

De part et d’autre, camions et véhicules à quatre roues jonchaient la chaussée

Après 1h d’hésitation, la star et moi avions accepter d’être « remorqué » par ces jeunes. Arrivé à la lisière de ce grand cours d’eau, ils ont immédiatement bouché le tuyau d’échappement et pendant ce temps, tout en « sommant » Maï de couper le moteur en laissant le contact allumé et sa boîte à vitesse automatique sur « N ». Après avoir religieusement respecté les consignes, mains tremblantes sur le volant, elle a commencé à implorer le nom du Seigneur toutes les 5 secondes : « Mon Dieu vient nous en aide…Mon moteur hééé…Mon Dieu…Mon moteur hééé… ».

Les pieds trempés dans l’eau y compris ceux de…

Tout doucement, une dizaine de jeunes poussaient le véhicule qui s’enfonçait dans une profondeur d’eau incroyable. L’eau s’est ensuite infiltrée dans le véhicule mettant du même coup, nos pieds dans cette flaque d’eau qui avait trouvé refuge sous les tapis et les pédales de son Hyundai. Toujours dans une anxiété totale, observant délicatement son véhicule qui surnageait dans l’eau, les jeunes la guidait afin qu’elle ne perde pas la direction ni le sens de la route. De part et d’autre, camions et véhicules qui n’ont pas pu traverser ce tronçon, jonchaient dans cette marre d’eau. Ce qui rendait encore plus perplexe notre conductrice.

…Ceux de la star Maï Lingani dans le véhicule

Trente minutes après, nous nous sommes retrouvés sur une chaussée assagie où la quantité d’eau avait visiblement diminué. Mais, les jeunes nous ont vite informé qu’il y a une seconde montée d’eau plus loin. Donc ce n’était qu’une accalmie. Ce qui indignait davantage notre star. Effectivement, quelques mètres plus tard, le véhicule s’est à nouveau retrouvé englué dans l’eau, toujours sous le contrôle des adolescents qui ont finit par nous conduire hors du danger, de l’autre côté de la digue. Un ouf de soulagement s’empara de la star et avec des bras levés en signe d’aurevoir, les jeunes ont pris congé de nous aux pas de course, après avoir reçu leur dû et rejoindre les autres éventuels « clients sinistrés ».

Sans aucuns pépins ni panne majeure à priori, Maï et Moi avions repris le trajet et réallumé le lecteur afin que ses mélodies apaisent nos émotions.  Entre angoisses et soulagement, il y aura eu plus de peur que de mal. Mais pour notre icone nationale, elle venait de passer une période mémorable dans son rôle de chauffeur.

Son sourire est revenu après le “déluge”

Arrivé à Boromo, nous sommes logiquement stoppés par un contrôle de gendarmerie pour vérification d’identités. Mais, à notre grande surprise ; les jeunes gendarmes en service nous ont reconnus et non pas voulu nous demander nos documents. Bien au contraire, ils ont félicité la profession que chacun de nous exercions pour la Nation. Un des gendarmes occupés à contrôler les documents des autres usagers, décident lui aussi de s’approcher vers moi. Un peu apeuré de le voir s’approcher précipitamment du véhicule ; Maï et moi étions convaincus qu’ils allaient nous faire descendre. Mais bien au contraire ; il voulait simplement nous saluer. « Monsieur Hervé David HONLA, c’est bien vous ? Je voulais simplement vous saluer et vous encourager pour ce que vous faites. Puis je avoir votre téléphone WhatsApp ? Je vais vous écrire quand je vais descendre du service. Je vous demande enfin, de revenir au CAFE s’il vous plaît. Car depuis que vous êtes partis, je ne regarde plus cette émission » Tous surpris, Maï et moi nous nous sommes regardés ! « …Bien sûr ! Bien sûr… prenez mon numéro ! le 7… » en lui remettant immédiatement mon contact. « Vous allez aussi après me passer celui de Maï… », renchérit l’agent. Mais l’artiste a aussitôt donné le sien et dans une bonne ambiance, ils nous ont donné la route.

Chapeau bas pour l’hospitalité des gendarmes

Pensant que l’effet surprise était fini, plus loin ; à la sortie de Boromo, on croise encore une longue file de véhicules garés au bord de la voie avec des gendarmes armés, sommant les chauffeurs de descendre du véhicule. « Qu’est ce qui se passe encore ? » sommes-nous exclamés dans le véhicule. Poliment, nous nous sommes approchés des gendarmes et je suis descendu du véhicule pour aller à leur rencontre afin d’en savoir davantage. Nous ayant reconnus, ils nous ont certifiés qu’on ne devrait pas emprunter cette voie, car l’incident de Pâ avait engendré un communiqué afin que les usagers n’empruntent plus la N1 à ce niveau, jusqu’à nouvelle ordre. Après avoir constaté qu’on était plutôt en train de rentrer sur Ouaga, le chef du régiment nous a cordialement laissé passer en nous escortant aimablement lui-même jusqu’au bout de ce long rang, afin qu’on puisse poursuivre notre voyage. Comme par enchantement ; c’est notre présence qui a immédiatement permis aux gendarmes sous les ordres de leur chef, de libérer aussi la voie aux autres nombreux camions et véhicules en partance sur Ouagadougou postés depuis des heures.

Comme par enchantement ; c’est notre présence qui a immédiatement permis aux gendarmes sous les ordres de leur chef, de libérer aussi la voie aux autres

Cette ultime scène nous a doublement ému et l’hospitalité des gendarmes a même permis de libérer la voie aux autres chauffeurs. C’est ainsi que tout au long de ce dernier tronçon Sabou-Ouagadougou, nous sommes « revenus à nos moutons » en écoutant de bout en bout le riche répertoire de Maï. Elle a profité, après avoir retrouvé sa quiétude et sa jovialité du départ, pour me demander de choisir les tubes qui m’ont marqué tout au long de ce voyage périlleux.

C’est dans une forte pluie que nous sommes entrés à Ouagadougou et la sublime artiste chanteuse s’est même permise de me déposer jusqu’à devant le portail de mon domicile congratulant du même coup, mon épouse et mes filles.

Un périple que j’ai plutôt trouvé très plaisant et garni d’adrénaline. Vivre de telles émotions, ça n’arrive pas tous les jours surtout quand une attitude de crainte et du risque te frissonne.

Hervé David HONLA   

 

 

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