Pazouknam Jean-Baptiste Ouédraogo est présent à Cannes pour de nombreuses rencontres et surtout pour présenter son projet WAKAT. Réalisateur, scénariste et producteur, il jette un regard affilé sur la problématique de la production et de la coproduction en Afrique. Face au micro de OXYGENE MAG ce jour 19 mai 2022, le lauréat 2013 au FESPACO du Prix du meilleur film fiction des Ecoles Africaines du cinéma et ex Président de la Fédération Nationale du Cinéma et de l’Audiovisuel (FNCA), évoque sans langue de bois, de nombreux sujets liés à l’industrie de la cinématographie africaine.
Qu’est ce qui justifie votre présence ici à la 75è Edition du Festival International de Cinéma de Cannes ?
Je suis porteur de projets de film WAKAT. Depuis 2018, j’ai eu la chance d’être sélectionné par OUAGA FILM LAB où j’ai eu de nombreux prix. J’ai notamment le Prix d’écriture notamment avec la grande Dora Bouchoucha. J’ai eu l’occasion d’aller écrire mon projet avec des mentors à Tunis et à Marrakech. Ensuite j’ai eu un prix avec la ville de Poitiers où j’ai séjourné pendant près d’un mois en résidence. J’ai eu la chance de travailler avec deux mentors sur le scénario. Il est d’ailleurs presque prêt, il ne reste que quelques modifications selon les inspirations des uns et des autres. Nous sommes maintenant à la recherche des financements. Nous nous sommes dit, qu’il ne faut pas rester fermé au Burkina Faso. Surtout que l’Etat n’est pas prêt à financer nos propres projets, il faut s’ouvrir ! Je suis resté longtemps aussi au Burkina parce que j’ai constaté que les Fonds étrangers ne financent pas nos projets, tant qu’il n’y a pas une part versée par notre Etat. Nous n’avons pas été soutenu par l’Etat, raison pour laquelle, j’en profite pour remercier Ouaga Film Lab à travers Ousmane Boundaoné qui m’a beaucoup soutenu. Donc, nous avons fait notre part en postulant au projet du FDCT-PAI-GC, je n’ai pas été retenu. Mais ça ne m’a pas découragé, j’ai postulé à d’autres fonds en attendant. Je me suis dis que le Festival de Cannes, c’est l’occasion. J’ai déjà fait la Berlinale, mais pas avec ce projet ficelé. Mais à Cannes, j’ai préféré venir car il y a le marché du film, le forum des Coproducteurs francophones, le forum des producteurs etc. Donc c’est l’occasion pour moi de m’ouvrir au monde et de pouvoir rencontrer les gens qui s’intéressent aussi aux histoires de l’Afrique, dans le but de trouver des partenaires pour la production et la post production. En quittant du Burkina, je me suis dit que je « vais en conquête ! » (Rires)
Comment avez-vous pu vous rendre ici à Cannes ?
C’est grâce à la Direction Générale du Cinéma et de l’Audiovisuelle (DGCA) que je remercie au passage. Excusez-moi ; mais le Burkina est inscrit dans le programme de soutien au développement des projets culturels des pays du Sud. C’est lors de cette session, que Aminata Diop du « Pavillon Afrique » a discuté avec les Directeurs en leur disant qu’il y a la possibilité d’inviter les jeunes porteurs de projets à Cannes. Ils ont donc envoyé une invitation et il fallait que nous nous organisions pour trouver des moyens pour être enregistrer dans la liste de la délégation du Ministère. Surtout que le pays traverse une période difficile. Les moyens n’ont pas permis que l’on me prenne en charge. J’ai plutôt été pris en charge par la Confédération Nationale de la Culture (CNC) à travers le FDCT. Il a fallu aussi que je mette des moyens pour organiser tout le voyage, bref, ils ne peuvent pas me couvrir complètement.

Vous êtes donc présent à Cannes avec votre projet WAKAT. Est-ce que vous avez pu déjà rencontrer certains potentiels partenaires ?
J’ai élaboré un planning méticuleux et corsé depuis Ouagadougou. Car à Cannes, il y a beaucoup de gens à rencontrer. Je vous assure que je suis même surpris des rencontres que j’ai pu avoir ! Honnêtement, c’est au-delà de mes attentes. J’ai déjà pris rendez-vous avec cinq Fonds ! Les plus grands fonds au monde pour toute la matinée de demain. Je vais assister au Forum des coproducteurs demain dans l’après-midi et hier j’ai eu la chance de rencontrer d’autres jeunes producteurs africains qui vivent en Europe, notamment en Guadeloupe. Nous avons déjà partagé des projets et de façon concrète ; nous avons discuté sur des projets de collaboration. J’ai déjà reçu certains scénarios et en plus ce matin, je suis allé au Marché des films. Bref tout est allé très vite ! J’ai également suivi un point de presse d’une équipe de la Malaisie à tout hasard. J’ai suivi toute la conférence et j’ai même posé une question. J’ai trouvé qu’ils partagent les mêmes réalités que nous nous. Mais ils possèdent un gouvernement qui investi beaucoup dans leur cinématographie. A la fin de ma conférence, tous les professionnels malaisiens sont venus me rencontrer pour échanger avec moi sur leurs différents projets en rapport avec le mien. Surtout qu’ils voulaient connaître le Burkina Faso. Ils m’ont invité dans leur pavillon où je suis resté plus de deux heures à échanger avec eux. Quand j’étais président de la FNCA, je nourrissais le désir de construire un village du cinéma. En discutant avec eux, ils m’ont téléchargé l’exemple de leur plan qu’ils ont construit en Malaisie. Ils sont prêts à m’envoyer leurs ingénieurs pour construire ce village au Faso, dès que j’obtiens un financement. Idem pour le pavillon Japon qui m’a ouvert les portes. Pendant que je filmais le Pavillon de la Mongolie, j’ai rencontré une dame qui est ouverte pour la coproduction. Elle souhaiterait inviter un producteur africain à venir en Mongolie, travailler avec eux pour des projets de coproduction. Bref, je pense que je vais planifier d’autres rencontres de ce genre pour avoir beaucoup de partenaires et partager avec ceux qui sont au Burkina.
Les jeunes producteurs burkinabè sont confrontés à ce problème de coproduction et de production. Comment peuvent-ils faire pour bénéficier de ces structures de productions étrangères, surtout sans moyens ?
Je voudrais d’abord aborder le principe de la coproduction Sud-Sud. Quand j’étais président, on avait lancé le forum de la coproduction qui consistait entre nous les burkinabè, de se partager le financement d’un film que nous réalisons. Puis par la suite, on partage les bénéfices à parts égales. Cela a permis de faire naître près de dix projets et nous y sommes là-dessus. De prime à bord, tout le monde ne peut pas aller à l’international ! La coproduction panafricaine est déjà une bonne base. L’objectif est de pouvoir amener ses jeunes producteurs à quitter leur entourage pour s’ouvrir au monde en se donnant des moyens. Le fait de venir à Cannes pour trouver également les opportunités, c’est très important. Un film aujourd’hui qui est réalisé, ne reste pas dans un tiroir ou dans la salle du ciné Burkina ou Neerwaya. Il doit aller partout dans le monde pour qu’on rentabilise. Mais déjà à la base, nous refusons même de retravailler sur nos scénarios. Il faudrait venir ici à Cannes avec un projet très béton. Un projet bien vendable où tu t’inscriras dans les plateformes de coproduction. Une accréditation te permet de voir le marché du film, d’essayer d’avoir des rendez-vous concluant avec les producteurs et personnes ressources. Ainsi naissent les opportunités de marché, car le monde du cinéma est devenu ouvert. Il ne faut pas rester renfermé, car dès qu’on vient ici, on se rend compte que les producteurs ont soif des images de l’Afrique. Bref, il faut savoir nouer des contrats et entretenir certaines relations et se mettre en réseau.

Qu’est ce que vous entendez par « bon projet » ? Car certains producteurs vous demandent parfois de modifier votre scénario avant de vous financer.
Un bon projet est celui qui est vendeur. Un projet qui a une certaine profondeur, une certaine esthétique qui parle au monde tout en s’adressant à l’Afrique ! Tout commence par des résidences où on te confie à des coachs pour t’accompagner dans ton histoire. Certains cherchent un peu à rédiger l’histoire selon eux ; c’est humain ! Mais d’autres saisissent ton ressenti et vivent avec toi ton histoire. Certains producteurs possèdent leur vision, leur canevas et leur ligne éditoriale…car ils souhaitent aussi que cela plaise à leur public. En sommes, aucun des deux parties ne veut perdre surtout quand chacun investi. Ce sont des réalités que nous vivons. J’ai rencontré des cinéastes qui m’ont avoué qu’ils étaient obligés de changer leur scénario pour plaire à une chaine de télé ou à un producteur. C’est dramatique ! Nous les artistes, quand nous possédons nos œuvres de l’esprit et puis par la suite, quelqu’un d’autre vient la modifier à sa guise, jusqu’à ce que tu sois obligé de tronquer tes idées, uniquement pour avoir de l’argent ; A la fin ça fait vraiment mal !
Certains pays africains ici à Cannes accompagnent les producteurs dans la quête des financements et des partenaires. Quel peut être l’apport de l’Etat burkinabè à l’endroit de nos cinéastes ?
Ce qui nous manquent, c’est la manifestation de notre volonté de puissance ! Donc du coup ; on occupe les derniers rangs et ça nous plaît. Pour des gens qui veulent être très puissants, il faut obligatoirement utiliser l’image. Les autres le font très bien, c’est pour ça qu’on parle d’eux ici à Cannes. Les autres ont utilisé leur image pour nous dominer. Nous aussi faisons de même, soyons audacieux ! Certes, nous les acteurs, nous avons notre part de responsabilité. Mais c’est d’abord une volonté politique. Nous sommes un pays en crise ; si on avait utilisé le cinéma en amont, il y aurait beaucoup de problèmes qu’on aurait résolu ! Malheureusement, jusqu’aujourd’hui, notre cinéma ne vit même pas. On n’investit pas dans notre cinéma. Je prends un pays comme la Malaisie. Les autorités prennent six projets très costauds, ensuite, ils sont envoyés en résidence pendant six mois avec des grands mentors. Ils réalisent des films en tenant compte de leurs opinions, des réalités malaisiennes et de la concurrence du marché international. Ils suivent les projets jusqu’à sa réalisation. Ils investissent de l’argent. Ils créent des studios, achètent du matériel, installent la logistique qu’ils mettent à la disposition des cinéastes. Au Burkina ; au lieu que l’on nous donne des milliards pour faire nos films, il faut mettre en place un fonds matériel. Ce fonds nous permettra à de nombreux jeunes de prendre du matériel à un coût réduit pour réaliser et produire. On met également en place un fonds pour l’écriture des scénarios avec la construction des résidences dans une localité du Burkina bien équipée pour travailler. Tous ceux qui seront cooptés pour faire des films dans 3 ou 4 ans, on mettra les moyens logistiques à leur disposition. Mettre à contribution des professionnels, des ainés venus des pays étrangers et les nôtres pour former et coacher leurs différents projets. Donc un fonds pour le matériel, un fonds pour l’écriture et il reste de trouver de l’argent pour payer les techniciens. Nous devons être en mesure de faire certains sacrifices pour créer une véritable industrie cinématographique au Burkina Faso, afin qu’après, nous puissions refinancer l’Etat. Sinon ; quand on n’a rien, on continuera à faire des petits films qui ne pourront pas quitter le Burkina encore moins, être projeté à Canal Olympia chez nous. Nous sommes dans une période de crise, c’est le moment où le cinéma doit s’exprimer.

Le FESPACO est organisé sensiblement à l’image du Festival de CANNES, mais les moyens et les technologies diffèrent. Quel peut avoir le nouveau visage du FESPACO pour véritablement booster l’industrie cinématographique africaine ?
Le FESPACO doit avoir en son sein, un incubateur de développement de projets comme dans la plupart des grands festivals. Ensuite, il y a le Marché du Film qu’il faudrait sincèrement prendre à cœur. C’est très important dans un festival ! Il faudrait qu’il soit très puissant comme celui qu’on trouve ici. Enfin, il faut avoir une bonne équipe de sélection de film. Si nous projetons le FESPACO dans dix ans, quels genres de films devrions-nous présenter? Il faudrait déjà élaborer des grands axes pour positionner notre cinéma dans les prochaines années. Faire un plaidoyer, des assises et axes stratégiques. A travers ce laboratoire, il faut commencer à incuber des jeunes qu’on suivra pendant cette période. Le Marché du Film, ce n’est pas simplement l’organiser au Burkina et attendre que les gens d’ailleurs viennent s’inscrire. Il faut voyager pour aller trouver les gens qui vont venir s’inscrire. Aller payer certains films afin qu’ils soient présents au FESPACO pour faire vivre ce marché. Aujourd’hui ; que ça soit à la Berlinale ou ici à Cannes ; quand tu parles du FESPACO, personne ne connaît. Tandis qu’on se vente à Ouagadougou en disant que c’est le plus grand festival en Afrique. Nous sommes en train de perdre en notoriété. Certes, nous devons nous inspirer de ces grands festivals, mais nous devons se poser la question sur ce que nous voulons promouvoir. Notre réalité ! La réalité africaine. Laissons la routine et la monotonie de côté. Il faut redynamiser le Marché du Film parce que ce sont les mêmes chaînes de télé et les mêmes producteurs entre nous que nous rencontrons à chaque biennale. Il faut inviter d’autres producteurs qui ne demandent qu’à être approchés. Enfin, après chaque FESPACO, il n’y a jamais de statistiques pour montrer le nombre de films qui ont bénéficié des accompagnements, le nombre de projets qui a été soutenu etc.

Vous avez décidé de jeter l’éponge à la présidence de FNCA pour des intérêts personnels. Pourquoi avoir pris cette décision ? Quelles ont été vos motivations ?
J’étais très content de passer trois ans à la tête de la fédération. A un moment donné, il y avait tellement de querelles dans le cinéma. Je suis venu tout naïf avec ma bonne foi, pourtant mon grand-frère me disait que c’est un milieu de requin. A l’époque, je ne voyais pas de requins (Rires). C’est après mon Prix en 2013 au FESPACO que je me suis rendu compte qu’il y avait vraiment des requins. Au départ, je me suis dit que nous sommes tous des amis et des professionnels. Mais plus tard, je me suis rendu compte que les jeunes étaient beaucoup plus lésés. Il n’y avait pas cette fusion entre les deux générations. Certains ont même estimé que j’avais fait la force aux « vieux ». Pourtant, ce n’était pas le cas. Je n’ai jamais voulu être président, on m’a plutôt coopté pour le devenir. En tant que jeunes, nous avons géré comme on pouvait, bien que nous n’ayons pas eu l’adhésion de tout le monde. L’objectif était de donner la chance aux jeunes de s’investir dans le cinéma. Plus tard, j’ai trouvé que la vision au sein de la fédération n’était pas ce que je pensais. J’ai donné toute ma vie et mon temps dans cette fédération. Aujourd’hui, je porte un projet WAKAT qui me permettra avec les jeunes, de mettre en place des actions concrètes dans le cinéma et les infrastructures. Nous commencerons par Ouahigouya qui est non seulement ma région, mais qui a aussi beaucoup d’histoires culturelles, politiques et aussi maintenant sécuritaire.
Hervé David HONLA