Hamed Ouattara (Artiste Designer) : « L’art plastique est méconnu du public »
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Hamed Ouattara (Artiste Designer) : « L’art plastique est méconnu du public »

Hamed Brasonka-Bra Ouattara est un artiste pluridisciplinaire. Plasticien, designer, peintre et sculpteur, nous avons été dans son studio pour échanger avec lui sur son métier et par ricochet de la Fédération de la Filière des Arts Plastiques et Appliquée (FFAPA). Un métier pas très connu mais d’une grande importance. Il constitue l’ensemble des pratiques ou activités donnant une représentation artistique, esthétique ou poétique, au travers de formes et de volumes avec des méthodes de design propre à lui.

 

Vous êtes considérés comme l’artiste plasticien designer attitré. Qu’est-ce qu’un artiste designer ?

C’est celui-là qui trouve des idées pour améliorer, non seulement la qualité des objets et qui en invente aussi des nouvelles. Le designer a cette vocation de réfléchir à l’utilisation des objets et de leur insuffler une nouvelle vie. Je suis plus dans le design mobilier donc je crée des mobiliers. J’ai créé un concept de mobilier, issu des matériaux de recyclage, où j’utilise des fûts, barils pour créer mes objets. Ce concept suscite de l’intérêt et crée aussi des emplois. En effet, j’ai un atelier de production qui est lié à ma conception d’objet.

Vous aurez commencé ce métier en tant qu’autodidacte. Comment la petite histoire est née ?

Ouf, la petite histoire, il faut dire que moi je suis toujours en train de faire des recherches. J’aime bien me poser des questions et essayer de trouver des réponses. Tout commence ainsi et petit à petit, on a envie de créer constamment des choses. Il y a de la matière, des choses à réaliser. Depuis l’école primaire, déjà à travers les cahiers de dessin et de récitation que je faisais pour tout le monde. Aussi à la maison, je touchais à tout. Dans le quartier, c’est moi qui réalisais les petites voitures avec le fer. C’est de là qu’est née une vocation, une envie de continuer et je suis arrivé à l’art plastique.

Vous avez participé à plusieurs galeries dans le monde. Quel est le regard que le Burkina porte dans ce métier ?

On peut dire que l’art plastique en généralement, n’est quasiment pas connu. On est beaucoup plus dans l’artisanat. Mais l’art contemporain, c’est-à-dire l’art plastique est un peu méconnu du public. Le regard du citoyen lambda n’est pas encore au point. On a du mal à se faire accompagner par le gouvernement en place. Les gens sont beaucoup plus intéressés par les autres genres tels que la musique, le théâtre. Les choses ont changé il y a peut-être juste 10 ans. Mais ce métier peine à prendre son envol et moi je me suis inscrit dans ce sens en étant un artiste. Aussi, je fais la promotion de l’art plastique à travers le fait que j’ai un atelier de production. J’ai créé par derrière, une entreprise pour montrer que c’est un métier complet, qui peut créer des emplois et participer au développement du pays.

LA FRATERNITE 2020

Vous êtes un Artiste Sculpteur de la récupération et très engagé dans la prise de conscience. Quel peut être le rapport entre votre métier et le comportement social ?

Il faut dire que quand on est un artiste, c’est déjà une posture, une décision qu’on prend. C’est une façon de vivre, de porter la charge sociale. L’inspiration vient de là. Elle ne vient pas du néant, mais des événements qui se déroulent autour nous. Donc les deux sont liés. Ensuite, il y a qu’on a envie de parler, de participer à tout ce qui tourne autour des sujets d’actualité et de maux qui minent la société. Donc en tant qu’artiste, je me sens engagé, parce qu’à un moment donné, si on a un cursus long comme le mien, on a envie de faire quelque chose pour les autres et aussi porter l’information là où on a besoin.

“Je tiens également compte de la culture et la valeur africaine”

Quelles peuvent être vos sources d’inspirations ?

C’est un questionnement permanent, que j’ai depuis le bas âge. Qui je suis ? Pourquoi je suis dans ce monde ? Où est-ce que je peux être utile ? Pourquoi les choses sont ainsi et pas comme ça ? Ce sont les questionnements qui m’ont toujours hanté et j’ai toujours essayé de répondre à travers ma création artistique. Je tiens également compte de la culture et la valeur africaine. La base de mon inspiration prend sa source là. Bien sûr par ricochet, je traite des sujets d’actualité comme le terrorisme.

D’aucuns affirment que vous tirez vos sources dans la confrérie des Dozos. Quel est le rapport ?

Je viens de l’Ouest. Donc c’est très important. Cette culture, j’ai été baigné là-dedans. Très jeune, j’ai eu des soins des plantes médicinales. Ce sont des odeurs qui me remontent. Il y a la pratique de la médecine traditionnelle à l’issue des plantes, mais aussi d’autres formes. Les premières maladies que j’ai eues, c’est mon grand-père qui m’a soigné et j’ai vécu à côté des dozos. Il faut dire que cette culture m’a beaucoup influencé. Egalement, mon arrière-grand-père dont j’ai le nom Brasonka-Bra, pratiquait toutes ces forces pour apporter sa connaissance au village. La science africaine et les forces qui entourent nos connaissances africaines, sont très importantes pour mon inspiration. Je tiens beaucoup aux valeurs africaines.

Parlons de cette Afrique qui est devenue le dépotoir des marchés dans le monde. Comment artistiquement pouvons-nous rentabiliser notre savoir-faire ?

Quand je me suis lancé en tant qu’artiste, le coté design m’a beaucoup plu. Le bas âge, dès que j’ai eu ma propre chambre j’ai conçu moi-même mes meubles dès le départ. C’est une question qui m’a toujours tourmenté, quand je voyais les différents objets qui déferlent en Afrique et qui ont une durée de vie assez courte. Et souvent des objets qui n’ont aucun intérêt culturel. J’ai réfléchi là-dessus afin d’apporter mon expertise dans ce domaine en créant des objets à partir des matériaux recyclés qu’on trouve partout. Il fallait le faire pour changer cela et aussi montrer un savoir-faire local. La soudure par exemple est un savoir-faire local, de même que la technique de la forge et même ceux qui travaillent le métal dans nos différentes contrées. J’ai voulu remettre cela au bout du jour. En montrant que nous pouvons arriver à faire les choses avec les moyens du bord, ce qui fait que mes objets sont un peu partout dans les galeries.

Quels sont vos rapports avec vos collègues artistes peintres et notamment les jeunes ?

Cela fait déjà très longtemps que je suis sur le terrain. Une vingtaine d’année avec beaucoup d’expériences, une cinquantaine d’expositions dans le monde. Donc aujourd’hui, avec les autres, les jeunes, je me sens investi d’une mission qui est de les accompagner, d’éclairer leur lanterne et de passer aussi le flambeau. La formation est au centre permanent de ma vision à long terme, parce qu’il est très important de pouvoir former et accompagner mes autres collèges jeunes artistes pour qu’ils puissent avancer à travers mon expérience sur le terrain et de la pratique plastique.

“La formation est au centre permanent de ma vision à long terme”

Est-ce qu’on peut dire qu’il y a l’entente parfaite entre vous ?

Oui ! Il y a une entente. Sauf que tous les débuts sont difficiles. Surtout quand on commence à imaginer une certaine organisation autour des activités, il y a forcément des échauffourées, des gens qui ne comprennent pas. On n’est pas toujours d’accord sur tout. Je pense que comme dans tous les secteurs, ce n’est pas évident. Mais pour ma part j’entends jouer mon rôle et tout faire pour que notre secteur puisse avancer avec moins de heurts possibles.

Est-ce que l’Etat et notamment votre ministère de tutelle tiennent compte de vos suggestions et propositions ?

A ce niveau je ne suis pas très content, parce que depuis tout ce temps de pratique, les consultations par rapport à notre secteur sont très faibles. Egalement, notre secteur n’est pas forcément comptabilisé quand il s’agit de la répartition des fruits. C’est un peu difficile. Mais dans le fond, je pense que beaucoup de choses ont été faites et on espère pouvoir apporter notre expertise. Mais avec cette crise sanitaire ce n’est pas facile. On est indulgent mais comptons toujours sur les autorités pour nous accompagner. Un département de toute la filière artistique a été créé par le ministère et c’est une première. En même temps nous avons juste du mal à mettre les choses au point. Pour le moment c’est vraiment balbutiant cette Fédération de la Filière des Arts Plastique et Appliquée, qui est au début de sa structuration, mais ça va changer si tout va bien.

“J’ai été formé par les Dozos”

Dans le cadre de l’attribution des marchés pour la décoration et l’aménagement artistique des espaces publics, parfois des voix s’élèvent dans votre corporation. Mais vous restez souvent silencieux. Quel regard portez-vous à ce sujet ?

A ce sujet je vais être assez dur, parce qu’il y a des voix qui s’élèvent. Il y a une fédération qui existe, mais force est de croire qu’on se pose la question à quoi elle sert. Elle n’est peut-être pas en phase avec les artistes et les acteurs pour défendre nos intérêts. On est inaudible. Il y a véritablement un souci au niveau de l’organisation. Pour être audible, il va falloir être réunit à travers une structure qui peut aller défendre, dire ce que nous pensons et comment nous voulons que ça se passe. Mais actuellement, ceux qui ont la charge de la fédération, qui sont mes collèges également, ne sont pas assez compétents. J’allais dire complètement, parce qu’il est inadmissible qu’il y ait des ouvertures et que les responsables ne nous ramènent pas l’information. On ne les entend pas et c’est compliqué. Je profite vous dire qu’il y a quelques mois, j’ai même interpellé cette fédération. Nous avons demandé à l’époque voyant que nous n’avons pas réellement de visibilité et de représentation claire dans l’organisation, à lire les textes pour savoir où est-ce qu’on en était. Nous n’avons pas reçu gain de cause.  On a demandé les documents pour comprendre et savoir si la fédération était à jour, etc. pour revoir tout cela. On n’a voulu comprendre et aussi réorganiser la fédération. On n’a pas été entendu. Cela dit ; nous ne baissons pas les bras, nous allons continuer pour trouver une solution et nous faire entendre. Pour réponde aux opportunités, séparément, cela est impossible.

Mais comment se passe l’attribution des marchés ?

Pour ma part, je ne sais pas, parce qu’il y a visiblement un problème d’information. Pour avoir l’information ce n’est pas évident. Il y beaucoup d’informations discordantes qui nous causent pas mal de difficultés. Nous avons une fédération qui devrait normalement simplifier, faciliter, et convoquer une réunion pour en parler. Pour qu’on puisse poser les questions et aussi avoir les arguments nécessaires pour aller avoir des informations auprès de l’administration publique. Quand nous allons pour poser les questions directement à l’administration, nous ne sommes pas vraiment écoutés. On est tout le temps renvoyé vers la fédération. Donc comment peut-on avoir des réponses claires. Cela n’empêche pas qu’il y ait des artistes qui jasent de ce qui est en train de se passer sous leur nez et de la façon dont les choses sont faites. C’est toujours le même problème que nous avons depuis une bonne dizaine d’année à la naissance de la fédération. Depuis trois ans, nous sommes en train de nous battre pour essayer de comprendre comment elle est organisée et comment il décide pour nous. Nous avons demandé la dissolution complète pour réorganiser, cette fédération qui peine à nous satisfaire.

Vous êtes le fondateur du studio Hamed Ouattara et précurseur de plusieurs projets. Quel est le projet qui vous préoccupe en ce moment ?

Je veux parler d’abord du projet qui est né il y a plus de 20 ans, qui consiste simplement à montrer que, à travers l’art on peut créer des emplois. Montrer aussi que l’art nourrit son homme, tant bien qu’on prenne soin et qu’on est bien structuré. Donc j’ai créé le studio Hamed Ouattara tout simplement pour qu’il y ait derrière, toute une structure qui puisse montrer qu’à travers la créativité, on peut apporter son peu de temps au développement de son pays. C’est parti du fait que j’ai lancé l’atelier de création et de fabrication de mobiliers design en utilisant des objets de recyclages. J’ai créé au moins une centaine de meubles en passant par la chaise, l’armoire, le buffet, etc. pour créer un catalogue que j’ai adressé à un public qui a était intéressé. En retour après des années de promotion, ce public a répondu et aujourd’hui nous fabriquons et nous expédions un peu partout dans le monde. Au-delà de cela, il y a mon atelier de création de tableaux et de sculpture. Mon ambition est de démystifier ce secteur et montrer qu’il est vivant et peut apporter beaucoup pour le développement du Burkina. Il y a une dizaine de personnes qui travaille avec moi actuellement. Mais le projet qui me tient à cœur depuis 2 ans, c’est le projet de ‘’la résistance artistique’’. Il consiste à utiliser l’art pour sensibiliser la population par rapport à la situation du terrorisme, qui sévit au Burkina actuellement. En tant qu’artiste, on peut dire des choses à travers son travail et par ricochet, faire la promotion de notre travail. Ce projet se déroule pendant deux ou trois mois et chaque samedi on a des live. On crée en outre des résidences d’artistes. C’est-à-dire ils arrivent et ils travaillent sur place jusqu’à la fin de la résidence. Cela coïncide chaque fois au lancement du BISO et nous présentons une exposition à l’atelier en même temps que toutes les expositions dans les ateliers de la ville de Ouagadougou.

Le projet ‘’la résistance artistique’’. consiste à utiliser l’art pour sensibiliser la population par rapport à la situation du terrorisme”

Quel pourrait être l’apport des artistes dans la résolution de la crise sanitaire et sécuritaire qui sévit le pays depuis quelques années ?

Un artiste a pour vocation de créer des œuvres d’arts, d’avoir un discours, des thèmes qu’il aborde dans ces créativités. Donc c’est cela que les artistes peuvent apporter. C’est-à-dire travailler avec des thèmes liés à la situation et pour sensibiliser. A travers le COVID, ils peuvent aussi peindre des tableaux, sculpter des choses pour sensibiliser la population. Par exemple, vous avez un tableau à gauche où il y a le président. Moi je me suis exprimé, car depuis son arrivée au pouvoir nous avons eu des attentats, des difficultés. Donc je le présente comme cela, pour dire également que c’est une réalité. Les artistes peuvent mener beaucoup d’initiatives, des expositions. Cette année par exemple pour ‘’la résistance artistique’’, nous allons faire une parade d’œuvres d’art et nous exprimer par rapport à la situation. On veut sortir des galeries pour que les gens voient le message. C’est aussi de revaloriser les valeurs africaines avec ce projet, et dire que nous pouvons les appliquer pour résoudre ce problème.

Yenntéma Priscille

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