Dr Dieudonné ALAKA (Producteur) : «Sans le FESPACO, que serait le cinéma africain ? »
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Dr Dieudonné ALAKA (Producteur) : «Sans le FESPACO, que serait le cinéma africain ? »

Présent à la 74è édition du Festival de Cannes, le Docteur Dieudonné ALAKA est producteur de cinéma et enseignant camerounais à l’Université de Yaoundé 1. A la faveur de la conférence de presse animée par le comité d’organisation du FESPACO à Cannes qui a eu lieu le 12 juillet, OXYGENE MAG lui a tendu le micro afin qu’il s’exprime sur les innovations annoncées au FESPACO et sur la problématique du financement du cinéma africain. Le Président Directeur Général de TARA GROUPE situé entre Paris et Yaoundé, formule également ici, quelques suggestions pour la bonne marche de la prochaine biennale qui se déroulera à Ouagadougou du 16 au 23 octobre 2021.

 

Dr Dieudonné ALAKA, Producteur de cinéma

En termes d’innovations lors du prochain FESPACO, le comité d’organisation a mentionné la section FESPACO PRO qui consiste à soutenir l’ensemble des maillons de fabrication cinématographique. Qu’est-ce que cela vous inspire quand on sait que le financement du cinéma africain devient un parcours de combattant?

J’ai animé deux ou trois conférences au FESPACO et j’ai à chaque reprise affirmé que ; la problématique du financement du cinéma africain existe depuis les années des Indépendances. Malheureusement soixante ans après, il n’a jamais été résolu ! De mon point de vue, c’est juste une question de volonté politique. Si on se retrouve aujourd’hui en 2021, avec des pays où il n’y a pas de mécanismes pour soutenir le cinéma au niveau local, c’est regrettable. Comme je l’ai toujours signalé ; ce n’est pas de la mendicité, chaque Etat a le devoir de soutenir sa culture. C’est une nécessité vitale ! Chaque Etat a l’obligation de produire lui-même ses propres images et ses propres films. Car si vous ne produisez pas vous-mêmes vos images, vous aurez autour de vous, des citoyens qui ne peuvent plus penser par eux-mêmes. Du coup, on n’a plus de repères. C’est vraiment vital qu’un Etat soutienne son cinéma. C’est d’abord une question de souveraineté, de diplomatie et de rayonnement international. Prenez par exemple ce FESPACO qui est aujourd’hui à CANNES ; c’est tout le monde entier qui sait que le BURKINA existe. Donc lorsqu’on aura la capacité à financer nos films avec des images qui sont vues par les africains, l’Afrique aura de plus en plus, une pensée autonome, bref, elle pourra se mettre dans une certaine ligne de développement plus crédible et solide. Cela rejoint justement la coproduction. Car quel que soit la forme de la coproduction que nous envisageons avec d’autres pays, il faut d’abord que nous ayons des mécanismes endogènes. Malheureusement aujourd’hui, il y a le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso qui possède un fonds qui vient d’être créé dans ces pays respectifs. C’est en quelque sorte, l’arbre qui cache la forêt. Mais en Afrique centrale, aucun pays ne possède un fonds de financement. Malheureusement les producteurs que nous sommes, nous sommes contraints de fonctionner avec les subventions internationales et de coproduire avec des sociétés Belges, Françaises, Sud-Africaines, etc. Moi particulièrement ce que je suis en train de faire ; quand il faut que je produise des films au Mali comme c’est le cas au Cameroun ou au Burkina, je suis obligé d’aller trouver l’argent soit à l’OIF, soit à l’Agence Francophone, bref trouver des sociétés belges, allemandes, françaises avec laquelle, nous allons nous mettre en coproduction. Maintenant, en attendant que les choses s’améliorent, on est obligé de faire cette coproduction. Et Dieu Merci, avec le nouveau souffle qu’Alex (NDLR : Alex Moussa Sawadogo, Délégué Général du FESPACO) est en train de faire, avec le FESPACO PRO, c’est la mise en place d’une autre forme de coproduction.  Si on réussit à mettre ensemble, les anglophones, les francophones, les arabes, afin qu’on puisse porter les projets, malgré la fragilité de notre cinématographie, j’ai bonne espoir que la coproduction sera renforcée et on aura au moins la chance de faire naître les  œuvres au niveau du continent.

“C’est une bonne chose que l’Etat burkinabè prenne le FESPACO à bras le corps”

Le FESPACO, contrairement à certains festivals dans le monde, c’est l’Etat qui finance en grande partie cet évènement. Est-ce un avantage ou un inconvénient selon vous ?

Heureusement ! C’est une bonne chose que l’Etat burkinabè prenne le FESPACO à bras le corps. Le FESPACO n’est pas une question de personne. Le FESPACO est un patrimoine africain. De la même manière que les ECRANS NOIRS au Cameroun, il y a de cela quelques années, le gouvernement camerounais a décidé de faire des ECRANS NOIRS, une association de notoriété publique. Parce que ; voyant l’intérêt et l’importance d’un tel évènement, comme le FESPACO, les ECRANS NOIRS, CANNES et autres,  ce sont des patrimoines qui n’appartiennent à personne.  Du coup nos Etats ont donc le droit de les soutenir. Car imaginez au Burkina le cinéma sans le FESPACO, que sera le cinéma africain aujourd’hui ? D’un côté, la responsabilité des Etats est là et de l’autre, il faut qu’on fasse un gros travail au niveau du marketing pour que les sponsors comme Canal+, Orange, les industries de bières et autres, les concessions d’automobiles…ces grandes multinationales puissent à leur tour soutenir les évènements cinématographiques comme le FESPACO.

“Même si le festival de Cannes s’écroule, il ne dégringolera pas, car l’Etat va mettre tous les moyens pour que ça fonctionne”

Prenez le cas ici en France, vous faites bien de le souligner ; je pense que le plus gros budget vient des sponsors. Quand vous voyez par exemple Renault qui est partenaire officiel, je n’ai pas envie de m’imaginer les sommes que Renault met pour le festival de CANNES ! Mais cela n’exclut pas que le gouvernement français, la mairie de la ville, la région de la Côte d’Azur et bien d’autres portent un regard sérieux à ce festival. Même si le festival de Cannes s’écroule, il ne dégringolera pas, car l’Etat va mettre tous les moyens pour que ça fonctionne. Vous avez d’ailleurs vue que pendant le Covid, la Culture a été beaucoup subventionnée pour permettre aux hommes de Culture de pouvoir supporter la période de la pandémie.

“Pour qu’il ait un festival, il faut qu’il ait des films”

Vous avez évoquez la question de la place obsolète qu’on attribue au professionnels du cinéma pendant le FESPACO ; Ils sont plutôt mis au second rang voire effacés au détriment du politique.  Est-ce que vous dénoncez là, l’omniprésence de l’Etat jusqu’à rendre obscure la visibilité de nos acteurs ?

Ce n’est même pas seulement au FESPACO. J’ai souvent la chance de parcourir beaucoup de festivals en Afrique ; les acteurs que ce soit au FESPACO, ECRANS NOIRS etc. ne sont pas toujours mis en exergue. On ne peut que le regretter en espérant que l’espoir étant permis, dans les prochaines années, les organisateurs du festival vont s’inspirer de ce qui se passe ici au Festival de Cannes. Il est totalement regrettable de voir que dans un festival de cinéma, qui est organisé pour les professionnels de la filière, les techniciens du cinéma ne soient pas mis au premier rang.  A un moment, on se demande, pour quoi on organise donc un festival de cinéma ?! Pour qu’il ait un festival, il faut qu’il ait des films. Et les films sont faits par les producteurs et les réalisateurs. Les comédiens sont les vedettes qui vendent les films, les producteurs financent les films, les réalisateurs font les films et le tapis rouge est là pour nous. Malheureusement, depuis quelques années, quand on arrive  au FESPACO…moi j’ai eu l’expérience : C’était en 2017 où j’avais un film en compétition, je me débrouillais dans la foule pour trouver une place. C’est à peine on me connaissait. Après je me suis demandé, lorsqu’un Ministre passait, on bloquait les cinéastes. Dès qu’il passe, tous les cinéastes sont mêlés dans la foule. Je me suis demandé, pourquoi on organise donc le FESPACO ? C’est la même chose que je vois tous les jours chez moi au Cameroun. Je pense sérieusement qu’Alex étant quelqu’un qui connaît bien le monde de notre cinéma, la tendance va peut être changé lors de la prochaine édition.

“Alex est quelqu’un qui connaît bien le monde de notre cinéma”

On aura j’espère, chaque soir, une projection tapis rouge comme je le vois ici à Cannes, ça donne de l’honneur, ça fait vendre les films, ça fait connaître les comédiens et le festival. Si par exemple, chaque soir au FESPACO, la sélection officielle, l’équipe du film fait la montée des marches, je pense que le FESPACO aura gagné quelque chose de grand ! Ça va redonner de l’énergie à tous les professionnels que nous sommes. Parfois lorsqu’on organise une cérémonie de ce genre, c’est une question d’organisation. Il faut savoir compartimenter chaque zone, chaque place à tous les invités surtout les professionnels du cinéma. C’est une question d’organisation à partir des hôtels jusqu’au déplacement en passant par leurs places dans les différentes cérémonies. Si Alex me donne deux ou trois minutes à travers un mail, je vais lui dire certaines choses. C’est un ami de longue date, on échange souvent (Rires)…

Hervé David HONLA

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