“Grâce au BBDA, j’ai acheté ma villa”
Ce Togolais a débarqué au Burkina Faso un 1er mai 2007 parce qu’il a échappé à la prison. Kevin Fekandine Laly dit Kevinson, retrace son parcours parsemé d’embuches qui l’a mené au sous les feux des projecteurs. Arrangeur de musique de profession, métier qu’il a appris au Burkina au travers des contacts des artistes et acteurs culturels. Technicien informatique de formation puis ensuite DJ, il doit aujourd’hui son succès grâce à deux Hommes : Donsharp de Batoro et le Commandant Ismaela Papus Zongo. C’est entre larmes et joie qu’il a décliné sans langue de bois, son odyssée dans le monde de la musique. Un entretien réalisé le 1er mai 2020, date emblématique pour cet arrangeur qui est aujourd’hui à l’aune de sa carrière inattendue.
« C’est en voulant échapper à la prison au Togo que je me suis retrouvé au Burkina »
Ce n’est coutume de te voir au-devant des feu des projecteurs, tu es toujours dernière et même sur la platines. Mais le nom fait le tour de l’Afrique de l’ouest, aujourd’hui et même au-delà…
Le début de ton histoire au Burkina remonte à quand ?
Bah…C’est depuis 2007, donc ça fait exactement treize ans…
Mais est-ce que ta venue au Burkina Faso était préméditée ?
Mon histoire est vraiment assez pathétique. Je suis arrivé à a conclusion suivante : Ce n’est pas généralement ce que tu choisis que tu fais. C’est ce que Dieu a décidé pour toi que tu fais. En venant au Burkina… Hum… (Ndlr : il baisse sa tête), je ne savais pas ce que j’allais devenir. J’en veux pour preuve ; mon petit frère présent ce jour. Il est connaît mon histoire. Je suis venu au Burkina Faso, parce que je fuyais quelque chose à Dapaong au Togo. Toute ma tendre enfance n’aura pas été facile. J’ai traversé beaucoup de choses et j’étais tellement turbulent, à tel point que mon père envisageait même de me déshériter. Il m’avait donné une dernière chance afin que je puisse me concentrer et choisir un boulot. C’est ainsi donc qu’à cette époque, j’avais décidé de faire de l’Informatique. J’étais partie pour deux ans de formation et avant la fin de ma formation, une triste affaire est venue tout remettre en cause. Quand quelque chose va t’arriver, peu importe les efforts que tu ferras, ça viendra ! Un prêtre est venu me voir à l’atelier avec une grosse clé USB MP3 de l’époque et qui coûtait environ 80 000 F CFA, afin que je puisse la réparer. C’était un samedi et dès que j’ai fini de la réparer, mon boss m’a dit de rentrer avec la clé et lundi que je revienne à l’atelier lui remettre. Le dimanche, un ami est venu me rendre visite et il en a profité pour piquer la clé à mon issue pendant que je prenais mon bain. Le lendemain lundi, je mets ma chambre dessous-dessus à la recherche de cette clé USB sans suite. Etant donné que c’est un collègue du boulot, je me suis dit qu’il allait me la remettre une fois au service. Arrivé au service, on me fait comprendre que mon collègue est allé à Lomé, capitale étant située à plus de 500 km de Dapaong. J’ai fait le compte rendu à mon boss en précisant que mon collègue a volé la clé USB et s’est enfuit à Lomé. Ce dernier a refusé de me croire au regard de mon comportement turbulent, il en a déduit que j’ai vendu cette clé. Quand le prêtre est arrivé pour chercher sa clé, il n’a rien voulu entendre. Il m’a donné un délai d’une semaine pour que je ramène cette clé ou c’est la prison directe. Où est-ce que je pourrais trouver 80 000 F CFA ? Nous étions à cette époque-là, un 25 avril et le 27 avril était l’Indépendance du Togo. Généralement, ce sont des défilés de toutes parts. J’étais désigné pour défiler avec la maison de communication «Togo Cellulaire». On nous a payé 25 000 F CFA chacun. Sous une forte pluie chez moi le lendemain, j’ai passé toute ma journée à réfléchir. Si je pars au boulot, on va m’enfermer et si je suis coffré, c’est la honte pour mon père et toute la famille. Mon nom dans la langue vernaculaire du Togo veut dire : «Férékandine» qui veut dire «Je ne peux jamais avoir la honte dans ma vie». Un peu plus tard, mon petit frère Paki qui avait à peine 11 à 12 ans, m’a aidé à faire mon petit sachet où j’ai mis deux pantalons et une chemise. Sous la pluie, je me suis fondu dans le noir pour m’en aller. Arrivé à la gare, j’ai pris un taxi qui m’a conduit à Cinkassé. J’ai passé trois jours à la radio de Cinkassé que je connaissais bien. Au lieu de me faire discret, j’ai commencé à animer sur les ondes et je me suis facilement fait repérer. Mon chef de programme m’avait plus tard, tenu informé que la police était en train de venir à la radio pour m’empoigner. J’ai de nouveau pris la poudre d’escampette grâce aux conseils de mon chef de programme. Toujours avec mes 25 000 F CFA dans la poche, j’ai emprunté le car SOGEBAF direction Ouagadougou au Burkina Faso sans pièce d’identité, ni sans connaître ma destination finale. C’est autour de minuit que je descends à la gare de l’Est au moment où tout le monde descend. Monsieur Hervé David HONLA ; coïncidence pour coïncidence, nous sommes le 1er Mai et c’est le 1er mai 2007 à Minuit que je suis arrivé au Burkina Faso ! C’est à la gare de SOGEBAF que je dormais et j’ai finalement fait sept mois à la gare avec 7000 F CFA en poche. Je dormais toutes les nuits et tôt le matin, je disparaissais.

«Je ne suis pas venu à Ouaga pour être arrangeur »
Mais comment as-tu pu passer autant de mois à la gare sans te faire des amis avec qui, tu pouvais squatter une chambre ?
Une personne du troisième âge a remarqué que je dormais à la gare. Je lui ai expliqué ma mésaventure et il m’a souhaité bonne chance. C’est ainsi qu’avec mes connaissances en montage audio des spots et animations, je me suis retrouvé en train de demander du boulot à la radio Horizon FM sans suite. Je n’ai malheureusement pas eu la chance de joindre le regretté Moustapha Thiombiano après plusieurs tentatives. Finalement j’ai renoncé à me faire engager dans ce média. Tous les jours, Dieu faisant, je marchais en vain dans la capitale à la recherche d’une occupation. C’est quand à tout hasard, je rencontre un garçon du nom de Roux lors du festival Ouaga Hip Hop au Reemdoogo, je lui ai proposé mes services en qualité d’aspirant beatmaker. Je n’étais pas encore Arrangeur, je fabriquais plutôt des beats pour celui qui en voulait. En se présentant comme rappeur, je lui proposer de lui confectionner des beats. Il a m’a proposé de m’aider à me loger, en contactant son père qui a vécu au Togo. Affirmant à ses parents que je suis son ami qu’il avait croisé quand il était au Togo et qu’il souhaiterait que je vienne loger chez eux. En toute honnêteté, cette famille m’a très bien reçu ! J’étais comme chez moi dans la famille nommée Bonkoungou. J’ai passé deux ans dans cette famille et pendant ces deux années, je me suis muer en DJ de platines dans les différents maquis de la place. Je bossais au Maquis «Podium» au rond-point de la Patte d’Oie, où on me payait à 40 000 F CFA/mois. Je faisais des beats avec la machine du maquis et un arrangeur du nom de Karim Dicka s’est intéressé à mon travail et surtout aux différents beats que je créais. Il m’a conseillé de me lancer dans l’arrangement car, selon lui, c’est le métier qui me convient. Intérieurement, le métier d’arrangeur ne m’intéressait pas. Car je ne suis pas venu à Ouagadougou pour être un arrangeur. Plus tard, j’ai croisé les artistes Greg, Fush Alpha, Myti, Bertrand Coulibaly, Aruna dit Arun qui est aujourd’hui aux Etats-Unis d’Amérique et bien sûr Roux. C’est devenu une histoire de famille, tous se retrouvaient chez Fush Alpha pour composer, écrire des chansons et Greg était le guitariste du Groupe. J’étais considéré par la force des choses comme l’arrangeur du groupe. Un beau jour, Fush Alpha, jumeau Hassan, Myti et une fille parmi nous, ont décidé de participer au concours «All Flawz». Ils m’ont demandé de faire des beats et ils sont arrivés jusqu’en finale de la compétition. Un soir au maquis, Bertrand Coulibaly et Arun sont venus me rencontrer pour me proposer de gérer un studio à Pissy en qualité d’arrangeur. Très étonné et stupéfait, je ne me voyais pas à la hauteur. Comment le simple beat maker que je suis, peut devenir arrangeur et surtout je ne sais jouer à aucun instrument encore moins au piano ? Ils m’ont motivé, encouragé puis au final, mon collègue DJ Viviano s’est presque offusqué de moi, si je n’accepte pas cette proposition. Dès qu’on m’a présenté le studio qui a été installé par le célèbre Nick Anor Mvondo, j’ai toute suite flippé ! Un grand piano était installé et je tâtonnais sur les beats. Bref, c’était un massacre total. J’ai appris presque sur le tas. Petit à petit, j’ai pris la résolution d’apprendre à jouer au piano. Mais malheureusement, je n’avais pas d’argent pour rentrer dans une école de musique. J’ai fait appel à Ben Hugo un «grand-frère» du Ghana qui était le pianiste de Bil Aka Kora afin qu’il m’apprenne à jouer à cet instrument. Il fallait d’abord que je m’achète un piano et il m’a proposé un à 80 000 FCFA. J’ai cotisé pendant cinq mois et dès que je l’ai acheté, il m’a juste montré comment on plaque les «do». Le reste je me débrouille et j’avoue aujourd’hui que je connais la musique, mais je ne suis pas un pianiste. Au fur et à mesure que je m’exerçais en studio, j’ai commencé à apprendre l’utilité de certains logiciels. Le travail d’arrangeur commençait déjà à prendre le dessus sur celui de DJ. C’est ainsi que finalement, j’ai décidé de me consacrer à l’arrangement. Mes débuts d’arrangeurs ont été difficiles. Pas de clients pendant plus de six mois et j’ai même voulu reprendre mon métier de DJ.

«Mon portable sonne ; c’est Dez Altino !»
Pourquoi le métier de DJ vous fascinait tant ?
Parce que c’est ça que je maîtrisais bien et ça me faisait gagner de l’argent spontanément contrairement à celui d’arrangeur. C’est quand j’ai fini, pour la première fois d’arranger tout une musique, que j’ai commencé à avoir goût pour ce métier. Les jeunes rappeurs défilaient au studio régulièrement et je leur faisais des arrangements à 10 000 F CFA. Un de ses quatre matins, mon portable sonne ! Au bout du fil, c’est l’artiste Dez Altino. J’avoue que je l’avais connu d’abord quand j’étais DJ, car il venait beaucoup plus dans mon maquis. On était des amis mais, il ne savait pas que j’étais arrangeur. Un jour il m’appelle : «Jo, j’ai appris que tu as un petit studio-là !» Il est passé et sur le champ, on tapé un son ! Ironie du sort, le tube l’a véritablement plu. J’ai donc compris que je dois travailler avec les artistes et surtout écouter les devanciers dans le domaine comme les Nick Anor Mvondo, Magloire, Yves De Bimboula, Zackaria Mamboué… J’aillais vers eux pour mieux renforcer mes capacités. J’ai donc passé deux ans dans ce studio et l’association Siniassiggui présidée par Robert Ilboudo m’a contacté pour lancer leur studio. J’y suis allé car elle me proposait un bon salaire. Robert s’est bien occupé de moi et nous avons fait trois ans ensemble. C’est dans ce studio que j’ai connu Sana Bob, Petit Docteur, Ocean…J’ai eu beaucoup du soutien des artistes car ils m’encourageaient beaucoup et ils savaient que j’étais animé par une volonté de travailler et de me surpasser. Je pondais parfois des casseroles mais, j’avais cette ferme conviction qu’il faut que je me mette à fond pour ce travail. Quand j’écoutais des arrangeurs à l’époque comme Yves de Bimboula, je me disais qu’il n’y avait pas «l’homme pour lui !». Donc, je redoublais d’efforts et c’était un challenge pour moi. Raison pour laquelle, j’allais à leur «école». Tous les appareils performants comme «Macintosh» qu’ils utilisaient, je faisais aussi des efforts d’apprendre à m’en servir. Je suis quelqu’un qui croit beaucoup en Dieu et c’est certainement ce qui a fait ma force. On m’appelait à l’époque «El Kevin», je courtisais à cette période mon épouse, j’ai fait asseoir un ami artiste Zion et elle pour leur dire que le nom «EL Kevin » ne m’a rien apporté. Je vais désormais m’appeler Kevinson ! Quand j’ai changé de nom, certains ont pensé que je gagne beaucoup d’argent et mon patron s’est mis dans la tête que je bouffais son argent. J’ai donc préféré poser ma lettre de démission sans argent pour aller me débrouiller ailleurs. C’est ainsi que je me suis retrouvé à Safari production avec un salaire de 50 000 F CFA le mois, grâce à un ami qui bossait en tant que caméraman. La responsable me demande de relancer la boîte qui ne marchait pas faute de clients. C’était du pain béni pour moi et en plus, je n’avais pas de toit pour dormir. Pendant que l’on cherchait un local, je dormais devant le studio sur une natte. Plus tard, on m’enfermait dans le studio quand il faisait froid ou quand il pleuvait. Ils ne me connaissaient pas et ils avaient peur que je ne vole les appareils. De fil e aiguille, j’ai pu trouver une maison où j’ai installé ma natte et mon pagne. Dès que j’ai perçu mon premier salaire, j’ai acheté des ustensiles de cuisine et organisé ma petite vie. Au niveau du Togo, certains étaient convaincus que j’étais mort depuis plus de quatre ans. J’ai eu la visite de mon oncle à tout hasard qui a transmis la nouvelle à ma famille. Mon père m’a demandé de rentrer car tous les soupçons ont été levés contre moi à propos de la disparition de cette clé USB. Malgré les supplications de mon père, j’ai refusé de rentrer car, je commençais déjà à m’intégrer au Burkina et je venais de me faire connaitre dans ce métier. A Safari Production, il y avait tous les logiciels et le matériel technique et ordinateur Mac que je cherchais. Donc, il fallait que j’approfondisse mes connaissances. J’allais régulièrement chez Yves de Bimboula pour me perfectionner. Je m’asseyais à côté de lui et j’observais comment il travaille. J’ai commencé à appliquer toutes les techniques à Safari Production et les artistes ont commencé à venir enregistrer au studio. Je peux citer ; Chicko, Agozo est aussi passé. Il m’a d’ailleurs dit un jour ; hum : «Kevinson, je suis venu te rendre visite. J’entends parler de toi et je te vois venir. Le seul conseil que je peux te prodiguer ; il ne faut pas écouter les gens. Travaille toujours dans l’ombre et le jour que tu seras bien fort, je vais travailler avec toi !». Tout comme Bebeto Bongo qui me disait toujours ceci : «Petit ! Il faut travailler, quand tu vas devenir célèbre, je passerai ». Le regretté Tifis venait au studio et me faisait travailler difficilement et il m’insultait pour m’encourager. J’ai finalement fait deux ans Safari Production car, les conditions de travail devenaient de plus en plus rudes. J’ai eu la visite d’un pasteur au studio qui m’a proposé 150 000 F CFA/mois en plus d’une moto comme salaire si je venais travailler dans son studio qu’il était en train de monter. Pour ne pas frustrer mes patrons de Safari Production, je leur ai subtilement fait la proposition et gentiment, nous nous sommes séparés avec beaucoup de chagrin. Chez le pasteur, tout marchait à merveille, il m’a payé une moto et m’a donné 150 000 F CFA pour faire mon déménagement. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans ce quartier ici à Karpala. Franchement, j’étais comme un roi ! Je bossais normalement et j’étais animé d’une honnêteté sans faille ! Je ne faisais aucun deal surtout avec un bon salaire. J’ai fait six mois sans problème : on payait le local à 75 000 FCFA, l’électricité, l’eau, le gardien, la secrétaire, bref, j’étais au petit soin. Un beau matin, les commérages ont resurgit du genre : «Kevinson a commencé à grossir »… Il fait des deals…ça va chez lui » patati et patata…c’est tombé dans les oreilles du Pasteur qui a cautionné toutes ses médisances. La polémique gagnait du terrain, puis finalement, il m’a rendu la vie infernale, en suspendant certains avantages qu’il m’avait offerts. Notamment la moto qu’il a retirée. Pourtant, il me retirait chaque mois 50 000 F CFA pour ça. Il avait donné la gestion à un ami qui n’arrivait plus à tenir les comptes. Finalement, le studio ne marchait plus. Avant de partir, j’avais le boulot de certains artistes en instances. Pour ne pas utiliser son courant, j’allais bosser chez moi à la maison. Pendant ce temps, ma femme était à terme de sa grossesse. Subitement, je vois le Pasteur débarquer chez moi m’exigeant de lui remettre tout le matériel qui est dans ma maison. Pendant qu’il me chassait de son studio, il m’a dit ceci : «Kevinson, sache que, rien ne marchera pour toi dans ta vie». Je me suis retrouvé chez moi en larmes sous une pluie battante. Le ventre de ma femme était en gestation, elle ressentait des douleurs…

Kevinson fond en larmes pendant l’entretien
…Ce Pasteur n’est-il pas venu plus tard à la raison ?
Le lendemain, j’ai envoyé un texto au Pasteur lui disant que ; s’il croit à son Dieu et s’il a pu me maudire de la sorte pourtant, je ne lui ai rien fait. Que la volonté de Dieu soit faite. Il a voulu qu’on se rencontre pour en discuter, j’ai refusé et plus jamais, je ne suis allé bosser avec lui. Durant la période de la grossesse de ma femme, on mangeait des arachides pour dormir. 200 F CFA d’arachides par jour pour résister. Souvent… (NDLR : il fond en sanglots et retire un mouchoir de sa poche)…on achetait des spaghettis, il n’y a pas l’huile, c’est du sel et du cube Maggi. Je mangeais avec cette femme-là….ça n’allait pas ! Je suis retourné à Safari Production en leur disant que ; quand je partais, ce n’est pas définitivement. Ils m’ont donné un boulot, qu’il m’a couté 100 000 F CFA. J’ai remis 50 000 F CFA à femme pour qu’elle garde pour son accouchement.
Pourquoi, tu n’as pas relancé tes anciens contacts et surtout les artistes ?
Je marchais partout à Ouagadougou pour chercher des petits boulots. Mais à chaque fois que je venais dans des studios, les gens m’admiraient énormément à telle enseigne que les arrangeurs étaient jaloux. J’ai finalement décidé de ne plus faire le tour des studios. Le 31 mai, j’ai accompagné ma femme à l’hôpital pour son accouchement. Les sages-femmes m’ont demandé certains soins et ordonnances à faire. J’ai croisé Ismaël, le manager de Jah Verithy qui venait également panser sa main. Je lui fais part de la naissance de mon fils et il m’a remis gentiment un billet de 1000 F CFA, juste pour me donner du courage car c’est ce qu’il avait sous la main. Ce billet a été une bénédiction pour moi ! Pendant que j’allais acheter l’eau chaude, mon portable a vibré. C’est un artiste du nom d’Isaac qui voulait absolument me voir pour enregistrer son album. Il a exigé me rencontrer jusqu’à venir me rejoindre au CSPS de Karpala, tout sale pourtant, on ne s’était jamais rencontré. Il m’a ; sur le champ offert 450 000 F CFA en me disant que plus tard, dès qu’il sera prêt, nous allons enregistrer cet album. Complètement abasourdi et ébahi, je n’ai pas compris ce qui se passait à l’instant. Au moment où je voulais ouvrir la porte d’une des chambres du CSPS, le temps de me retourner, je n’ai plus vu le monsieur. C’était comme un miracle ! Toute la journée et tout le temps qu’on a passé au CSPS, j’ai remis à toutes les sages-femmes que je voyais, 5000 FCFA. Tellement, j’étais content et ma femme n’en croyait pas ses yeux. Je venais d’éviter une grande honte totale. Je n’avais pas suffisamment d’argent pour la trousse et ma femme devait aller vivre en belle-famille. J’ai tout acheté et rempli le taxi pour aller la déposer chez sa famille. Après toutes les dépenses, je me suis retrouvé avec 200 000 F CFA. Il fallait que je monte un studio.

« Donsharp et Papus Zogo ont été mon déclic »
Avec deux cent mille francs…peut-on parler d’un nouveau départ ?
D’une bénédiction même ! Je suis allé voir l’arrangeur Brunich grâce à mon ami Zion. Il avait un Mac qu’il voulait vendre à cinq cent mille. J’ai commencé à colmater tout le petit matériel que j’avais : micro, PC, carte son etc. Ironie du sort, le Bureau Burkinabè de Droit d’Auteur avait déjà payé les droits aux ayants droits sans que je sois au courant. Nous étions le 31 mai. Je reçois donc 450 000 F, plus les 200 000 F. J’ai tout payé comme matériel et c’est à la maison que j’ai commencé à faire des enregistrements. Un bon matin, Donsharp De Batoro est venu me rendre visite à la maison. J’étais couché sans électricité. Il me dit que c’est peut-être mon jour de chance. Il me propose de prendre ma carte son et le matériel pour qu’on aille chez Commandant Papus. Commandant Papus Zongo avait un studio et Donsharp souhaite que je vienne arranger une collaboration musicale qu’il est en train de faire avec l’artiste Rama percussion de Bobo-Dioulasso. Lui et moi, on était vraiment très liés en tant qu’un grand-frère qui conseille son petit. En ce moment, il n’avait aussi rien. Il roulait sur une moto Crypton. C’est sur sa moto que je suis arrivé au studio de Papus. Quand nous avons commencé le travail, je vois Commandant Papus qui entre dans le studio de temps en temps et demande celui qui est en train de travailler. On lui répond que c’est Kevinson. C’était ma première fois que je croise Papus Zongo. Il me dit d’un air de «kôrô» ceci : «Cher ami ça va ?». Trois minutes après, il revient en studio. Il me dit que ce que je suis en train de jouer l’intéresse. Il m’interroge sur mon expérience et le nombre d’années que je suis au Burkina. Dès qu’il arrive dans son studio, à peine il revient. Cette fois-ci, c’est pour s’assoir. En fait c’est la mélodie qui l’attirait. Quand j’ai fini avec Donsharp, il l’appelle de côté pour lui dire qu’il a besoin de moi. Donsharp a dit qu’il m’a amené vers lui, qu’il n’a qu’à faire ce qu’il veut de moi. Commandant fait appel à Sofiano. Pourtant Sam Etienne Zongo, Yves de Bimboula et Nick Anor Mvondo avaient déjà fini l’album de Sofiano. Mais il a tenu que je revoie tout ça. Quand j’ai «tapé » le son de Sofiano hum ! Vous savez Hervé ; quand les gens parlent de la musique Afrobeat au Burkina, je ne voudrais pas me vanter, je suis l’un des premiers arrangeurs à avoir créé ça ! J’avais déjà cette vision avant la dominance nigériane. Réécoutez les chansons de Sofiano, vous allez comprendre que j’étais en avance sur le temps. Au final Commandant Papus était émerveillé et en plus, il a apprécié mon master. C’est ainsi que Commandant s’est allié à ma modeste personne. Pendant que je bosse avec Sofiano, je vois Wendy qui débarque. Quand elle a écouté, elle s’est exclamée et a souhaité aussi que je fasse aussi quelque chose avec elle. Idem pour Floby quand il est arrivé dans la même soirée. Floby me prend par le bras et m’entraine dehors et prend sa guitare. Commence alors une longue symphonie dont lui seul connait le secret. Juste pour me montrer sa tendance et ses nuances. Quand j’ai fini tous les boulots que Commandant m’a demandé, il m’appelle et me signe un chèque de… 500 000 F CFA. Je suis tombé des nus ! Je me suis mis à genoux et j’ai attrapé son pied pour lui dire merci. Depuis que je suis arrangeur, depuis que je travaille, je n’avais jamais touché une telle somme de ma vie. J’ai commencé à bénir Commandant sur le champ. Le matin autour de 6h30, j’étais la première personne devant la banque ! Quand j’ai touché le chèque, Commandant me dis de repasser le soir pour me donner quelques attributions dans son studio. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler avec Papus. Il m’encourageait beaucoup. Un jour je suis tombé malade et je n’avais pas fini l’album de Weezy et Sofiano. C’est là où j’ai gouté la «starmania» dans ma vie. Commandant m’a pris dans sa voiture, il m’a amené en pharmacie, il est allé acheter des fruits, des mangues et pleins d’autres choses pour moi. Arrivé au bureau, il a tout lavé et il pelait les fruits et me donnait. (Ndlr : exclamation au studio y compris le cadreur) tout en m’encourageant. Il m’a même installé dans un lit dans son bureau climatisé afin que je puisse me reposer. J’ai passé une à deux semaines là-bas. Chaque soir, quand on travaillait Commandant débarquait au studio et disait : «stoppez !», il m’offre poulet braisé, poisson braisé, frites, boisson bref : non…j’étais au petit soin. C’est avec cet argent que j’ai construit la cabine de mon studio. Le jour où je construisais la cabine, Séraphine Bancé est venue enregistrée. Elle a chanté dans la cabine-là sans vitre. J’étais étonné de la voir chez moi. C’est comme ça, beaucoup d’artistes ont commencé à m’appeler, ils venaient de partout pour travailler en studio.

C’est finalement Commandant Papus qui t’a donné gout à la vie ?
C’est le moins qu’on puisse dire. Il a été le véritable déclic dans ma carrière ici au Burkina. Pendant que les artistes venaient chez moi au studio, Floby n’était pas encore venu. Un jour, je le vois débarquer à Karpala pour me rencontrer. Ce jour-là, il a failli avoir émeute dans le quartier. Il préparait son face-face avec Arafat au stade. Tout le quartier est sorti quand il est arrivé. Photos, klaxons, cris, ovation, distribution de billets etc. C’est dans ce studio que j’occupe depuis 10 ans qu’il a fait son tube «Waka-waka». Après ça nous avons fait d’autres tubes plus tard comme : «la femme de mon patron». Là où j’ai vraiment flippé, c’était au Kundé 2014 ! Greg m’a appelé pour me convier à Seydoni Production à la demande de Commandant Papus. Comandant m’explique qu’il n’arrive pas à se comprendre avec l’arrangeur de Seydoni. Papus me fait des propositions artistiques, je m’installe et plus tard, il est satisfait. Tout cela c’était le jour des Kundé et commandant me dit d’aller faire le mixage et le rejoindre dans la salle au moment de la balance. C’est ma première fois que je participe au Kundé. Dès que je suis entré dans la salle, tous les acteurs du showbiz, journalistes, arrangeurs, artistes, managers etc. m’attendaient. Je grelotais de peur que le tube de la compilation ne les plaise pas. Parce que même commandant n’avait pas encore écouté le produit final. Dès qu’ils ont tous fini d’écouter tout le monde m’a congratulé même Yves de Bimboula m’a serré dans ses bras. Le soir, j’ai acheté une veste et je suis venu au Kundé sur invitation de Papus. Il m’a présenté à tout le monde jusqu’à la Première Dame. Il y a deux personnes qui ont été à l’origine de mon succès : il s’agit de Donsharp De Batoro et Commandant Papus !

Aujourd’hui tu es l’arrangeur le plus sollicité et plus célèbre au Burkina Faso. Beaucoup sont venus également plus tard. Certains estiment que kevinson n’est plus assez créatif à cause de l’arrivée des nouveaux logiciels. Que réponds-tu ?

Je ne favorise personne ! Mon slogan est que : tous les artistes sont pareils. Mais certaines personnes ne comprennent pas. J’ai juré de lutter pour la musique burkinabè jusqu’à ma mort. Raison pour laquelle, j’utilise beaucoup les instruments du terroir. J’en ai beaucoup fait. J’ai par exemple amené les mélomanes et artistes à comprendre le Liwaga d’une autre façon. Tout comme le Warba, je l’ai amené dans un autre style. Tous les autres arrangeurs essayent de le faire aujourd’hui. Même s’ils font mieux que moi. Il y a des artistes qui viennent chez moi et me disent qu’ils ont écouté…un exemple : Wedo de Floby. Ils veulent faire la même chose que lui. Ce que les gens ne comprennent pas, on a dit de valoriser notre musique ; si Floby a fait sortir un rythme qui est bien et que tout le monde veut embrasser ; c’est un plaisir pour moi. Mais beaucoup veulent que je fasse le «copier-coller» je dis non ! Je ne le fais pas, je créé. Malheureusement le défaut vient des artistes. Car le fait d’avoir tellement écouté Floby, il a même récupéré ses accords. Pourtant quand tu plaques les mêmes accords, je ne suis pas un magicien. Je fais de mon mieux pour que ça ne se ressemble pas.
Comment tu reçois premièrement les artistes dans ton studio ?
Quand il arrive, je l’accueille, je lui dis de chanter. J’essaye de trouver la batterie qu’il faut…
…Il ne te propose pas ?
…J’essaye d’abord de lui trouver la batterie qu’il faut en lui proposant. Dans le cas contraire, il me fait lui-même ses propositions. Par exemple, quand je bosse avec Floby, il sait ce qu’il veut : quand je joue quelque chose qui ne le plaît pas, il me le dit toute suite et je corrige. Dez Altino, c’est la même chose. Malheureusement, il y a d’autres qui entrent dans mon studio, Monsieur Hervé Honla ; ils ne savent même pas chanter ! Il dégamme sans le savoir. Je vous raconte une anecdote : Un artiste est venu chez moi un soir, du début jusqu’à la fin, il a chanté hors gamme. Je n’ai rien dit. J’ai perdu mon temps pendant trois jours assis sur la seule chanson avec mon logiciel de correction de voix. J’ai positionné ces voix une à une, mettre dans la gamme. Quand j’ai fini la chanson, l’artiste en question vient me dire que ce n’est pas ce qu’il a chanté. . C’est frustrant quand quelqu’un vient me dire ça. Finalement ; j’efface les voix et je lui demande de chanter ce qu’il veut.

Certains se plaignent que tu congédies les artistes moins connus de ton studio dès qu’une célébrité comme Dez Altino ou Floby, Donsahrp arrivent à l’improviste…
Jamais !! Jamais !!! Celui qui dit est un gros menteur ! Supposons que je suis en séance avec un artiste, et que Dez Altino arrive ; je dis à Dez d’attendre. Il peut témoigner tout comme Floby ! Je peux les appeler toute suite ils donneront leur version. Effectivement parfois, il appelle spontanément, je leur dis de venir. Mais quand il arrive pendant que je suis en séance, je lui dis de patienter. Parfois Floby va s’assoir au maquis, ou il fait venir sa consommation avec ses éléments. Il y a des artistes que je trouve qu’il a bien chanté. Selon lui, il trouve qu’il allait faire deux heures. Au bout de trente minutes, tout est fini. Quand ça coïncide que Dez est au salon, il va se dire que c’est parce que la star est là, que j’ai vite finit avec lui.
«Grâce au BBDA, j’ai construit ma villa»
Au BBDA, vous raflez certainement la plus grosse part pour vos droits. Combien percevez-vous en moyenne ?
Franchement, je ne vais pas vous mentir ! Si je mens même le DG du BBDA va se fâcher contre moi. En 2010, mon tout premier argent que j’ai pris au BBDA c’était 292 000 F CFA. Tout ce que je gagne au BBDA, je le gagne à la sueur de mon front. C’est vous qui le dites en disant que je suis l’arrangeur le mieux payé au BBDA. Personnellement, je ne le sais pas. Sinon, grâce au BBDA, j’ai réalisé beaucoup de choses…
(Ndlr Rires du journaliste…)
…Non non ! Qu’il ne s’inquiète pas (NDLR : Kevinson s’adresse au cadreur) qu’il ne s’inquiète pas : je vais dire la somme. Je sais que Monsieur Hervé Honla entend ça.
…Bien sûr ! Tous les lecteurs d’OXYGENE MAG également, d’autant que c’est votre argent…
Oui, c’est mon argent. Sans vous mentir, je gagne assez au BBDA ! Celui qui dit que la musique ne nourrit pas Homme, il ne dit pas la vérité ! Il faut s’avoir bien faire ta musique. Je viens de loin. Quand on dit aujourd’hui : «la star Kevinson» ça me fait rire. Pourtant devant vous et devant ce piano, je ne sais pas où se trouve le note «Do». C’est quand je suis en face de l’artiste, que le «Do» vient. Mon succès vient aussi de la bénédiction de mon Père et de ma Mère. A la veille de la mort de mon Papa, il m’a appelé pour demander une dernière fois si je veux vivre de la musique ? Je lui ai répondu oui. «Si tu veux vivre de la musique, tu as ma bénédiction» m’a-t-il répondu. Le lendemain un 1er mai à 4h du matin, on m’appelle pour me dire qu’il est décédé. Le 1er mai, comme aujourd’hui où vous me faites cette interview. Ma mère m’a dit que tout ce que je toucherai avec mes dix doigts, si tu es honnête, tu vas toujours réussir. Donc que les gens le souhaitent ou pas, qu’ils mettent les battons dans tes roues, tu vas réussir. Grâce donc au BBDA ; je possède un studio, je nourris ma famille ici comme au Togo, je suis marié j’ai trois enfants, ils vont à l’école et rien ne les manquent. Ma femme ne manque aussi de rien, juste que je suis en train de l’envisager payer une voiture. Grâce encore au BBDA, j’ai construit une grande villa au quartier Bonheur-Ville. Je suis tranquille, je travaille avec un assistant. Le studio le nourrit et paye sa facture. L’argent du studio, c’est juste le minimum, mais c’est le BBDA qui nous gère. Le maximum que je gagne au BBDA, je suis à… huit millions nef cent milles (8 900 000 F CFA). En février je gagne un à deux millions. En mai ça tourne autour de six à sept millions et en septembre je tourne autour de sept à huit millions. Mon plafond en septembre passé au BBDA, c’était 8 900 000 F CFA. Ça m’a permis de finir ma maison. Grâce à l’argent du BBDA, je suis en train d’envisager ouvrir une ferme.

En termes de projet pour conclure ?
Je voudrais vous avouer que plus tard je vais laisser l’arrangement. J’ai 37 ans aujourd’hui, d’ici 45 ans au plus tard, je vais passer à autre chose. Je suis certes jeune, mais j’ai fait beaucoup de musiques et je ne suis pas une machine. Je suis très débordé, si je continu dans ce surmenage, à la longue, je serai monotone. C’est pour ça que j’ai formé un jeune, en la personne de Pissi. Aujourd’hui, c’est ma fierté parce qu’il fait du bon boulot. Il travaille beaucoup avec Floby actuellement. Il y a un deuxième, Fredo que je suis en train de former et c’est à lui que je vais léguer mon héritage dans l’arrangement. J’avais dit que si j’arrive à un barème de dix millions au BBDA, je vais arrêter.
Quel est le conseil que vous pouvez prodiguer à un jeune artiste chanteur qui veut se lancer dans la musique ?
Un artiste doit d’abord avoir l’oreille musicale. Comme l’a toujours dit mon collègue Petit Jeano, un artiste doit toujours savoir jouer un instrument de musique. C’est important, car c’est plus facile pour lui de comprendre ce que nous disons. Connaître au moins le B-A BA de la musique.
Hervé David HONLA