Dix titres de qualité supérieure
Il n’y a pas meilleure façon de commencer sa semaine par une analyse de l’œuvre d’un artiste de la trame de Bil Aka Kora. Son nouvel album FULU mérite un décryptage adéquat pour le bien des générations à venir.
On n’écoute pas l’œuvre d’un tel artiste au détour d’un visionnage d’un clip. Consacrer plutôt toute une journée à décoder les performances musicales de ce double détenteur des KUNDE est encore fort avantageux. Au lieu d’aller lorgner les fortes poitrines des gonzesses dans les discothèques, vaudrait mieux se recroqueviller dans son salon et écouter «NO MORE» ou encore «ENTRE TERRE ET TERRE»
Quand on écoute un album comme «FULU» de Bil Aka Kora, on est tenté de se faire une introspection sur ce métier qu’est la musique, qui est de plus en plus prisé par les jeunes. Mais malheureusement, qui n’assure pas pour autant le succès à tous ceux qui la pratique.
Je suis arrivé aux conclusions suivantes : Si vous ne savez pas pourquoi vous faites de la musique, vous n’allez pas vraiment progresser. Vous devez avoir une idée de la direction où vous allez. Il faut surtout avoir conscience de ses points forts : vous allez renforcer ce que vous faites le mieux et le plus naturellement. Passer du temps sur ses points forts permet aussi de trouver son identité musicale.
Malheureusement, beaucoup parmi-eux ne sont pas honnêtes envers eux-mêmes. Ils passent leur temps à s’auto-glorifier au lieu de renforcer leurs capacités. Il faut avoir conscience de ses points faibles. Ce recul sur soi permet de garder une certaine humilité. Si l’on n’est pas capable de connaître les tenants et les aboutissants de sa propre composition musicale, alors ne perdons pas de temps à critiquer autrui et focalisons nous sur nos propres difficultés et comment les dépasser. Vous serez tellement occupé à essayer de progresser que vous n’aurez plus le temps pour critiquer les autres.

En écoutant régulièrement Bil, j’ai finalement compris la musique est avant tout, l’esprit de partage. Faire la musique avec les autres entraîne, au moins deux précieux avantages : Mieux jouer et progresser rapidement. Dans la plupart des cas, Les meilleurs artistes chanteurs/musiciens, sont souvent ceux qui ont reçu un apprentissage dans un groupe. Le fait d’être entouré d’autres personnes qui veulent faire la même chose que vous, ou qui sont meilleurs que vous, va vous pousser dans vos derniers retranchements et vous faire passer au palier supérieur. Quand vous êtes entourés de meilleurs musiciens, les limites que vous vous êtes données sont brisées.
Les œuvres de Bil Aka Kora en disent long sur son parcours. Pas étonnant donc quand on écoute sa dernière production «FULU» qui n’est qu’un condensé des succès qu’il engrange depuis 22 ans. Année de la sortie de son premier album «Douatou».
Il possède cette faculté à associer plusieurs styles musicaux tels que le jazz, le blues, le rock et même le reggae dans son univers personnel DJONGO. Peu importe la langue ou dialecte employé. Dans le tube «OVER» pour commencer par celui-là ; Akaramata chante à la fois en gurunssi et en anglais dans un air Blues/Jazz. Tout part d’une complicité entre la caisse claire et la guitare basse pour ensuite enchaîner avec un clavier virulent saupoudré des sonorités banjo, flûte, guitare solo. Parfois on est emporté par cette envolée lyrique pour ensuite nous plonger vers la fin, dans un Quartet muni de cymbales, piano, solo et batterie.
Un album du natif de Pô sans un tube reggae, c’est une illusion ! «MANI» chanté en italien avec une justesse vocale électrisante. Arriver à chanter juste avec une langue étrangère qu’on ne parle pas régulièrement et dans un air de reggae, il faut maîtriser substantiellement le solfège pour oser.
C’est la flûte qui déclenche les hostilités dans le tube éponyme «FULU». Mais c’est plutôt ce petit claquement sonore d’un instrument, qui sert de métronome dans cette chanson exclusivement chantée en Kasséna. Il nous plonge dans la pure tradition du Sud du Burkina Faso, avec une fenêtre ouverte sur la modernité.
Est-ce une sorte de harpe ou de sousaphone, ces instruments qu’on utilise parfois dans le jazz ou la musique cubaine qu’on retrouve dans le tube révélateur «ATIKELEYE»? L’artiste nous transporte dans un conservatoire vocal où les chœurs font un travail d’orfèvre dans cette chanson. Mais c’est la symbiose des différents instruments modernes, pas souvent employés en Afrique qui fait le charme de cette chanson. C’est en écoutant «Atikeleye » qu’on discerne amplement l’univers paradisiaque des musiques acoustiques. Voix lead et chœurs enveloppés d’instruments bios, suffisent pour transporter l’auditoire dans un capharnaüm d’émotions.

Imaginez-vous au festival Ri Loco à Toulouse au mois de Juin 2020 et que Bil Aka Kora vous entonne, devant 25.000 âmes endiablés le tube «AKIAN». C’et le délire total. Certains danseront en se posant la question «D’où lui est venu l’idée de faire un tel foisonnement ?». Il y a du tout dedans ! Comment le DJONGO a pu se conjuguer avec de la groove music ? Une musique aussi bien compartimentée où même les instruments modernes se sont retrouvés en train d’exécuter les rythmes DJONGO. En écoutant «AKIAN», le talent mélodieux d’Aka Kora ne souffre d’aucune contestation. Il peut tout fusionner sans pour autant dénaturer les différents genres, ni même écorcher la déontologie musicale.
L’un des véritables chefs-d’œuvre de cet album, c’est ce duo effectué avec sa jeune consœur MALIKA LA SLAMEUSE : «ENTRE TERRE ET TERRE» Tout commence par un bruitage d’une rivière qui coule avec une diction limpide et nostalgique :
«Dormir sur des bâches bleues, n’était pas des hommes blancs. Ne plus aller où l’on veut, comme avant. Avant comme en Palestine… au Soudan, nos concessions sont des ruines et pourtant…Entre Terre et Terre suspendu la vie, domestique en fait un triste Paradis… »
Non seulement le rendu de cette chanson est d’une limpidité sans faille mais, en plus en plus, l’orchestration est d’une éloquence à vous transpercer de joie ! La cerise sur le gâteau c’est l’entrée honorable de la slameuse MALIKA. Quand une artiste d’un autre genre musical arrive parfaitement à collaborer dans un projet artistique de ce genre, ponctué d’une justesse émouvante, c’est une preuve inéluctable que cette slameuse est la meilleure de sa génération.
MALIKA est entrée dans ce tube en commençant subtilement en ces termes : «Entre terre et terre suspendue la vie…triste paradis…Qui ? Qui ?…se souviens encore du planteur Massaly. Qui avait eu le tort de nourrir sa famille sur un lopin de terre brûlé par les milices, enivrés par la guerre, brisés par les sévices. Qui ? Dites-moi qui ? Qui se souvient encore des…colonnes exilés par des parfums de morts de conflits insensés. Qui pourra consoler l’intimité souillée de… nos mères outragées, nos mares improvisées… »
A la fois avec élégance et rempli d’émotions grâce à la complicité des instrumentistes harmonisés, MALIKA a fait une entrée magistrale dans cette céleste mélodie. La force des deux artistes sur ce tube réside dans leur bonne technique vocale. Les deux postures qu’ils ont employés sont entre autre ; la respiration et le placement de la voix. Ils l’ont exécuté à la perfection.
Dans «iii» nous sommes dans une véritable démonstration vocale de Bil Aka Kora, là où réside essentiellement son «pouvoir». Rien n’est fait à l’aveuglette chez cet artiste. La moindre élévation de sa voix est techniquement mesurée. Il manipule aisément ses cordes vocales à telle enseigne qu’il peut s’évader vers toutes les tonalités ; aiguës, basse, trémolos etc.
En écoutant «NO MORE» le talent est tout craché ! Pas besoin d’empiler une pléthore de musiciens sur scène et au final, se retrouver dans une incohérence caractérisée. Vaudrait mieux bien les harmoniser et leur donner chacun une plage distincte pour mieux s’exprimer. Ecoutez «NO MORE» et vous comprendrez pourquoi, faire la musique n’est pas seulement une partie de plaisir. Toute cette chanson est purement acoustique. Chaque instrument est joué naturellement et distinctement. Chacun joue sa partition sans influer l’autre. Ce qui fait frémir plus d’un, c’est la présence sensuelle de l’harmonica qui intervient de façon élégante tout le long de cette musique. La percu aussi omniprésente, ne fait aucun ombrage aux autres instrus. Bien au contraire ; son apport rythmique sert de garde-fou. Mais ce qui rehausse la qualité de «NO MORE » c’est le style francisé qu’il a employé. Une voix enveloppée faisant des échos dans sa gorge. La diction des textes et la tournure de sa langue donnent une coloration particulière. Le refrain «J’aime… J’aime mon pays…J’aime, j’aime ma Patrie » est chanté sur deux tonalités avec des ères cubains.

La pertinence également du thème de cette chanson en dit long. Prêtez l’oreille : «Plus rien…Plus rien ne sera comme avant. Aboyeur, on incendie les voitures, mais on pleure quand on a une éraflure. J’ai pas tort même si je n’ai pas raison. Le confort, la V8 ça du bon. Bien dressé ralentisseur à sa porte. Insulté les gendarmes couchés des autres. A l’église mauvaise foi gris-gris discret. Les strip-teases pardonnez à la mosquée…J’aime, j’aime mon pays… »
Une sorte d’ironie bien agencée sur l’incivisme caractérisée qui gangrène le Burkina Faso chanté et conté par ce djongofeel.
Enfin, je découvre une vraie collaboration artistique et musicale entre Bil Aka Kora et le groupe Magic System dans «ANOU » !
Une collaboration améliorée et éloquemment ajustée. La guitare sèche donne le top départ de cette mélodie rythmée ouvrant une brèche d’abord à Bil puis ensuite, l’arrangeur a su juxtaposer parfaitement l’entrée du groupe ivoirien dans cette flûte qui les annonçant. Un break qui a permis de faire entrer A’Salfo dans un tempo que j’avais désespérément recherché lors de la précédente production. Entre Djongo modéré et Zouglou pondéré, on se retrouve dans un foisonnement de culture donc la colonne vertébrale réside dans le refrain.
Il sera incongru voire chauvin de refouler cet opus savamment bien travaillé au studio SHAMAR EMPIRE et diligenté vers d’autres structures européennes et américaines.
Venant d’un artiste comme Bil Aka Kora, cela pourrait s’avérer évident mais, un tel exploit n’est pas toujours gagné d’avance pour un artiste. Surtout avec ce marché mondial du disque qui subit des mutations chimériques.
Bil avait certes, besoin ne pas se retrouver en marge des nouvelles tendances commerciales mais, il avait aussi comme devoir, de conserver et de continuer à véhiculer son identité. La symbiose et la nuance a parfaitement réussit dans «FULU»
L’artiste a joué sa partition. Que les mélomanes avertis jouent également la leur.
Pour éviter d’être paresseux et croire toujours que ce sont les acteurs du showbiz qui bloquent votre carrière ; écoutez sans modération cet album dans votre voiture ou chez vous à la maison.
Hervé David HONLA !