«Notre communauté aux USA et ailleurs, tourne en rond !»
Né à Ismago (localité à 7 km après Koudougou) Martin N’terry vit aujourd’hui à Seattle aux USA. Lauréat du Marley D’Or en 2014, il a été invité par le Festival Nuits Atypiques de Koudougou (NAK) qui a eu lieu du 27 novembre au 1er décembre 2019. Présent au Faso avec dans ces valises un nouveau single dédié à la situation nationale, «LE MESSAGE», OXYGENE MAG est allé à sa rencontre à Koudougou le 30 novembre dernier. Celui qu’on surnomme «le Rambo» de la musique burkinabè revient sur sa carrière musicale aux USA, son épouse chanteuse Toussy, ses enfants, la musique Burkinabè et les évènements de la diaspora.

Depuis combien d’années as-tu été absent au Burkina Faso ?
J’étais au MARLEY D’Or il y a cinq ans et bien avant, en 2012, j’étais venu présenter mon album «M’nonga». Mais ici à Koudougou, ça fait très longtemps. Je dirai plus de cinq ans. C’est le plus grand concert que je vais donner ici à Koudougou.
Après les Marley d’Or, tu es reparti aux USA. Sur le plan artistique comment se porte ta carrière ?
Quand je suis rentré, mon objectif d’abord c’était de tout faire pour que ma famille me rejoigne. Je me suis donc battu pour faire venir madame et les enfants. Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre, les enfants sont à la fois à l’école normale et l’école de musique. Je suis en train de relancer le groupe «Benere Band» pour le moment, il me manque trois musiciens pour avoir tout le groupe. Ils sont présents ces musiciens burkinabè qui vivent à New York, je pense à Sangaré. Malheureusement j’habite très loin de New York. Je suis à six heures de vol entre New York et Seattle. C’est bien que tu me poses cette question. Car il est temps pour moi de reconstituer ce groupe et surtout de continuer à jouer dans des festivals aux USA et au CANADA, pourquoi pas en Europe. Depuis la sortie de mon album et mon retour aux USA, sincèrement, je ne faisais pas de la musique. J’étais plutôt préoccupé par ce regroupement familial.
En tant qu’artiste burkinabè vivant aux Etats-Unis, comment peut-on se frayer un chemin dans ce métier ?
La plus plupart de ces artistes, surtout musiciens, vit à New York et New Jersey. Ce n’était pas comme à notre temps, dans les années 2000 où il n’y avait rien. Aujourd’hui, nous avons des compatriotes qui ont ouverts des Clubs où l’on peut jouer des musiques live. C’est un peu différent, car ils ont un boulot dans la journée et en soirée, ils prennent le temps de répéter. Depuis l’arrivée de toutes ces vagues d’artistes burkinabè, nous n’avons plus beaucoup de difficultés. Les musiciens qui connaissent ton répertoire, ça devient facile. Mais c’est toujours difficile par ce qu’ils se plaignent toujours des mêmes problèmes. Les gens veulent qu’on vienne jouer dans les petits clubs africains avec des miettes comme cachet…bref, rien n’a fondamentalement changé. Mais nous gardons espoir ; car avec la vague des artistes qui viennent aux USA, tout porte à croire que les choses vont s’améliorer. Nous pensons que certains vont trouver une porte de sortie, soit pour pouvoir s’imposer sur le plan international ou signer avec des grands labels. C’est notre espoir. Nous n’avons pas encore pu le faire pour le moment, mais on ne désespère pas et on continu à se battre.

On vous reproche (artistes burkinabè) souvent de jouer uniquement dans les communautés aux USA. Pourquoi vous n’allez pas à la conquête des autres scènes ?
Quand vous n’êtes pas aux Etats-Unis, vous confondez tout. Les Etats-Unis sont un pays spécial. Tout simplement parce que les américains aiment leur musique. Je te donne un exemple ; quand un américain regarde un film sous-titré en Anglais, il se lève et sort de la salle. Ils ne veulent pas faire un effort de connaître les autres cultures. Quand je joue dans certains grands festivals, malheureusement, il n’y a que quelques-uns qui peuvent m’écouter. Parce qu’ils n’entendent pas ce que je dis. C’est différent en Europe, car les gens aiment suivre la culture africaine. La plupart des américains n’aiment pas découvrir ce qui vient d’ailleurs. Concernant les communautés, c’est une question de clan regroupé en pays. Les Guinéens, les Togolais, les Sénégalais, les Burkinabè etc. Quand vous dites que c’est Salif Keita qui vient, sachez que c’est la communauté malienne qui viendra nombreuse au concert, ensuite les sénégalais ou encore les burkinabè. C’est pour dire également que la communauté burkinabè est également présente dans les spectacles des pays voisins tels que le Mali ou encore la Côte d’Ivoire. Moi par exemple, je vis très loin de New York, à Seattle. Je joue régulièrement avec des jeunes bien qu’ils ne soient pas connus. Mais la question de la communauté est efficace, car si nous avons quitté notre pays pour venir nous installer ici, c’est pour se battre et aider notre pays. Mais par contre si chaque fois on va organiser des manifestations ici aux USA et en Occident pour demander des financements au pays, je trouve qu’on ne remplit pas notre mission…
…Justement, on ne te voit pas dans ces manifestations…
Je pose des conditions et la première, c’est qu’il faut d’abord que cela soit en live. Ensuite, me verser un bon cachet…Je suis dans un Etat où je travaille légalement. Si je quitte mon boulot pendant une semaine, ça me fait beaucoup de manque à gagner. D’autre part, notre communauté aux USA et ailleurs tourne en rond ! Ce sont les mêmes personnes qui viennent nous écouter : il n’y a aucun artiste qui a quitté le Burkina Faso pour arriver là-bas et a signé un contrat ou fait une collaboration internationale. Moi je pense que ce sont des fêtes qu’ils organisent en prétendant qu’ils soutiennent la musique burkinabè et la culture. Mais en fin de compte, vous regardez dans la salle, ce n’est que 95% des burkinabè ayant la nostalgie de la musique du pays, viennent danser en jetant des petits dollars pour se faire voir. Puis après, les artistes prennent leur avion et repartent au Burkina. C’est dommage que ces mêmes organisateurs viennent se plaindre ici, en disant qu’ils font beaucoup pour la musique burkinabè et demandent de l’aide. Alors qu’en principe ce sont des fêtes qu’ils organisent et non des rencontres professionnelles. Je connais des jeunes qui sont là-bas, qui donnent des cours de musique, de danse traditionnelle dans des établissements et Universités sur la danse Kasséna, Warba…Je pense que ce sont ces gens-là qui sont en train de faire connaitre la culture burkinabè. C’est la raison pour laquelle, je suis contre ce genre de fêtes. Souvent quand on m’appelle par exemple dans «Burkina Day» en disant que le Président a donné des millions pour aider ci et ça…moi ça me tique, parce que ce n’est pas notre objectif. Notre objectif, c’est de réussir ci pour p ouvoir aider nos frères et sœurs au pays en traçant un chemin. Même si on ne sera plus là, que les gens viennent trouver une référence en disant qu’on a connu un burkinabè entreprenant. C’est la raison pour laquelle, j’essaye de lancer un festival dans mon village à Imasgo à 7 km de Koudougou. Je vais faire un jumelage entre le village et la ville de Seattle. Je suis en train de construire une coopération entre les deux mairies ; celle d’Imasgo et de Seattle. Mon objectif c’est de pouvoir installer quelque chose et que dans les années à venir, nous voyons les artistes locaux de la ville de Seattle, défiler pour jouer dans ce petit village. Et vice versa. Ça va être très long, mais avec la volonté et surtout avec madame qui est à côté, elle est très courageuse, nous allons pouvoir réaliser ce projet.
Nous sommes aux NAK, qu’est-ce qui sous-tend ta présence dans ce festival cette année en dehors de ta prestation ?
Le promoteur Koudbi Koala est un grand frère que je respecte depuis des années et nous avons eu à nous rencontrer à New Jersey lors d’une journée culturelle. Il a souhaité que je vienne aux NAK pour partager mon expérience d’un jeune qui est parti depuis 19 ans et qui arrive s’épanouir entre la musique et le travail. Je suis présent pour prodiguer des conseils aux jeunes et partager mon expérience afin que cela leur soit utile plus tard. J’ai été honoré de venir et je suis très content d’être là.
Quel est le regard actuel que tu portes sur la musique Burkinabè ?
La musique burkinabè a un problème de promotion. Les artistes ont tendance à faire eux-mêmes. Après mon départ, il y a néanmoins un pas en avant qui a été fait. Surtout avec l’arrivée des jeunes venus de la Côte d’Ivoire, il y a eu un élan. Quand on dit que les artistes burkinabè ne sont pas internationaux, il y a certains qui s’illustrent. L’international ce n’est pas seulement Salif Keita, Alpha Blondy, Youssou N’dour et autres, c’est aussi, Alif Naaba, Smarty, Bil Aka Kora, je pense que ce sont aussi des artistes qui ont partagé des scènes sur le plan international. Ils n’ont peut-être pas eu la chance d’être soutenu par le peuple. Les autres ne sont pas meilleurs que les nôtres. C’est parce que leurs compatriotes leurs ont soutenu de l’Europe en Afrique. Ils ont soutenus leurs artistiques financièrement et même les autorités ont mis la main à la patte etc. Quand ils partent pour des grandes manifestations, ils partent toujours avec leur artiste. Même Alpha Blondy a été soutenu par Houphouët Boigny pour l’imposer sur le plan international. Malheureusement, nous n’avons pas ce type de courage pour le mettre en application. Je ne vois pas une autorité remettre au moins 5 millions de F CFA à un artiste. S’il le fait, tout le monde va le savoir et il aura peur des représailles. J’entends souvent les gens dirent que les artistes sont ingrats. Comment un artiste qui n’arrive même pas à avoir 5 millions F CFA dans son compte et vous trouvez qu’il est ingrat ?! Il y a un travail qui est en train d’être fait…Ce n’est pas parce que tu es en train de me faire une interview maintenant. Je te dis merci, avec tous les coups que tu prends, avec ce qui se passe avec toi, c’est un honneur de savoir que tu fais changer les mentalités. Même si souvent tu paies le prix. Moi je pense que, si tu ne te décourage pas, tu vas changer beaucoup de choses dans ce pays. Tu arrives à dire quelque chose que les gens veulent dire, mais qui ont peur de le dire. Tu prends le risque et le sacrifice de le faire. Ce n’est pas facile, car quand vous vous battez en tant que jeune artiste, vous passez des nuits blanches en studio et dans les spectacles, et que vous entendez qu’un journaliste est en train de vous critiquer, ça fait mal au cœur. Mais il va falloir aussi qu’il ait des journalistes pour nous critiquer afin qu’on change et que nous soyons dans une logique de travail. Je pense qu’avec l’international qu’on vise, grâce aux critiques, on pourra atteindre notre objectif.
Comment est né ce single «LE MESSAGE» que tu viens de mettre sur la place publique ?
Quand vous êtes très loin de votre pays et que vous entendez qu’il est attaqué par des gens sans foi ni loi, ça fait de la peine. Quand des civils, des enfants et des femmes sont attaqués et les militaires sont obligés de défendre la Nation au prix de leur vie, chacun doit prendre ses responsabilités. Moi en tant qu’artiste, je possède cette voix et si cette voix peut conscientiser la jeunesse, je n’hésite pas à la mettre à contribution pour apaiser les cœurs. Quand on dit aux jeunes qu’ils peuvent aller tuer des gens par ce qu’ils sont des mécréants etc. En écoutant ma musique, ils découvrent le contraire à travers mon message. Dieu n’est ni noir, ni blanc. Il n’est ni musulman, ni chrétien. Il est comme le soleil qui brille pour tout le monde. C’est ce que j’ai dit dans cette chanson. J’essaye de prôner la tolérance et le vivre ensemble dans cette musique. Il fallait que j’écrive cette chanson, je ne suis pas un messager de Dieu ou autre…C’est une inspiration personnelle et je me suis dit que ça peut être une arme qui peut contribuer à démoraliser certaines personnes. J’ai insisté dans la chanson sur le nom de Dieu parce que c’est ce que les terroristes utilisent pour nous attaquer. J’ai écrit cette chanson pour ne pas rester dans les chants patriotiques «Vives les FDS» j’ai voulu plutôt conscientiser les âmes sensibles qui se font manipuler par de faux concepts religieux. Beaucoup de mossi font semblant de le comprendre, mais il y a plutôt beaucoup qui ne l’ont pas réellement compris. Mais les gens comprendront que nous devons être unis et indivisibles.

Quelle suite donner à ce single ?
Je vais réaliser le clip avec Aly Veruthy qui m’avait promis un clip à la suite de mon MARLEY D’Or en 2014. Il m’a dit grand-frère, «si tu viens, fais-moi signe, je vais réaliser ton clip» Après le clip, je vais lancer la promotion. Ce n’est pas à but commercial, c’est pour le rendre disponible gratuitement sur toutes les plateformes de téléchargement. Il y a aussi les animateurs qui vont, je l’espère, jouer leur partition de patriotisme. Parce qu’il ne faut pas seulement attendre l’argent des artistes pour la promotion de ce genre de tube. Ça c’est un cap spécial. Après la sortie du clip, je continuerai la promotion avec mon petit staff que j’ai ici au Burkina Faso. Ce que je recherche à travers ce single, c’est la réconciliation entre les dirigeants politiques. Je ne leur dit pas de se réconcilier pour gérer le pouvoir, non. La réconciliation c’est de se mettre ensemble pour combattre l’ennemi unique qui est le terrorisme. Après ; s’ils veulent se casser la gueule, ils peuvent le faire.
On dit de toi que tu es très prudent en matière de gestion de ta carrière musicale vis-à-vis des managers. Qui s’occupe de Martin Nterry ?
J’ai la chance de travailler avec des gens qui continuent à se battre. Yacou Kaboré qui est à Madagascar, est mon manager de tutelle, il est secondé avec mon ami Mazonny qui est sur place ici au Burkina. Je vais renforcer mon équipe car après ce sigle, un album se prépare. J’ai eu la chance de travailler avec Georges Kouakou qui a eu confiance à moi et ça été un honneur de bosser avec lui. C’est une légende et il m’a présenté à pleins d’artistes en Jamaïque. Ils sont intéressés par ma voix et ils souhaitent faire quelque chose avec moi. Il y a vraiment des ouvertures sur le plan international. C’est un album que je suis en train de préparer avec eux. Cela me permettra de sortir quelque chose de phénoménal en qualité de son et d’arrangement. J’espère si la chance et les moyens m’accompagnent je vais mixer quelques titres dans le studio de Bob Marley. C’est un projet qui se prépare et je garde espoir. Maintenant ma famille est là, je vais commencer à travailler sereinement.

Un mot pour terminer concernant ton épouse Toussy. Elle est aussi une talentueuse artiste. Que devient sa carrière musicale ?
(Rires…) J’ai toujours dis que j’ai eu une chance d’avoir une femme comme elle. Elle est très courageuse, car quand elle est venue aux USA, en quelques années, elle a prouvé ! Je lui ai proposé d’aller à l’école pour avoir la possibilité de s’exprimer. Après, elle prendra la décision, si elle continue la musique ou autre chose. Elle a décidé aussi de faire de la pharmacie, parce que tu sais que ma fille avait eu un accident. Toussy a toujours voulu redonner de l’espoir aux malades. Même ma fille aimerait être une pédiatre pour pouvoir un jour redonner le sourire et la joie de vivre aux enfants. Donc pour revenir à ma femme, je suis très content. Elle va à l’école et elle a déjà été graduée. Elle est sortie comme technicienne en pharmacie et elle est courtisée par une quarantaine d’Universités ici aux USA qui souhaitent travailler avec elle. Pour le moment, elle est une artiste, elle n’a pas envie d’aller trop loin dans le domaine pharmaceutique. Mais, elle souhaite néanmoins avoir un métier avant de reprendre la musique. Elle me dit toujours ceci : «Martin, je te donne cinq ans avant de revenir dans la musique !» Mais en attendant, elle essaye de faire des exercices vocaux car contrairement à ce que les gens pensent, elle n’a jamais été satisfaite de sa voix. Mes enfants sont tous dans l’apprentissage des instruments de musique. Je suis très regardant là-dessus…
…Tu as combien d’enfants ?
J’en ai trois…Le premier a fini l’université cette année en Bisness/Communication. Ma fille va à l’université cette année et le tout dernier à 14 ans, va à l’école. Pour moi ; tous les points sont maintenant bien rangés. Place donc à la musique !
Entretien réalisé par Hervé David HONLA