«Mutualisons les moyens au niveau africain»
Akotchayé Okio est passé d’abord sur la scène en tant qu’artiste membre du célèbre groupe de Rap Béninois Ardiess de 1996 à 2013, date de la dislocation de la formation. Il est aujourd’hui en charge du développement international pour l’Afrique à la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de musique (SACEM). Son rôle c’est de travailler à améliorer la protection et le développement des droits d’auteurs sur le continent noir. A la faveur de la 4è édition de la Rentrée du Droit d’Auteur au Burkina Faso à Tenkodogo, Oxygene MAG est allé à sa rencontre le 27 octobre 2019, pour une interview exclusive.
Cet ex entrepreneur de spectacle, promoteur d’émissions TV et ex directeur de la chaîne africaine «Believe Digital» repasse en revue la question de droit d’auteur, les rapports entre la SACEM et les Sociétés de gestion collective en Afrique et bien sûr, la digitalisation de l’industrie musicale.

Avant qu’on aborde les sujets sur la SACEM et le Droit d’auteur. Que devient le groupe de rap Ardiess au Benin où vous étiez l’un des leaders ?
Malheureusement, aujourd’hui, le groupe n’existe plus. Ça été une belle aventure ; cinq albums, un gros festival de Hip Hop international qui a fait venir des artistes de partout y compris ceux du Burkina. Je pense à Yeleen, Smockey, OBC…Il y a eu aussi des têtes d’affiches internationales comme Soprano, Zaho, Sefiou. Bref, il y a eu des acquis solides liés à notre parcours. Maintenant, nous sommes tous passés à autre chose. Grizly et Magik qui continuent de rapper ensemble. Ils ont monté le groupe Doubelex et ils sont basés en France. Il y a Herman qui rappe en fan, il est au Bénin et continue de rapper. C’est plutôt moi qui suis passé de l’autre côté du guichet (rire) puisque je m’occupe maintenant de la question du Droit d’auteur…
Est-ce que c’est parce que tu as changé de bord que le groupe s’est disloqué ?
Non, je ne suis pas directement passé d’Ardiess à la SACEM. Dans la vie d’un groupe, à un moment donné, une envie personnelle de s’exprimer pleinement se pose. Un groupe c’est comme une personne morale et c’est la somme de plusieurs individus qui crée une autre entité. Quand on grandit les aspirations changent. On a tout de même fait cinq albums et nous sommes restés ensemble de 1996 à 2013. Dix-sept ans, c’est tout de même un long parcours. A un moment donné, chacun voulait vivre sa passion, ses aspirations et c’est pour ça que le groupe a mis un terme à leur projet.

Pourquoi la SACEM s’intéresse tant à l’Afrique ? Pourtant elle existe depuis plusieurs décennies.
La SACEM a toujours été très africaine. Peut-être que les gens ne savent pas…Myriam Makeba, Manu Dibango, Fela…sont des membres de la SACEM. Ce sont des stars, des pères fondateurs de la musique africaine. Il y a toujours eu un ADN africain au niveau de la SACEM et surtout un intérêt de l’Afrique au niveau de la SACEM. Nous avons des membres africains mais c’est vrai qu’on n’avait pas encore de politiques structurées pour le continent. C’est arrivé, il y a deux ans et demi avec ma prise de fonction. La direction a souhaité regarder le continent avec des yeux adaptés à la stratégie cohérente qui correspond aux réalités africaines avec quelqu’un issue de cette communauté. Je suis né en Afrique, j’ai fait ce parcours musical et je me suis fait professionnel, c’est peut-être pour ça que j’ai été copté. Cet intérêt est justifié parce qu’on possède des membres à la SACEM africains. Aujourd’hui c’est une société internationale et non française. La SACEM, ce n’est pas la France. Elle est basée en France mais juridiquement c’est une coopérative qui appartient à ses membres. C’est une société civile, avec plus de 170 milles membres et 166 nationalités. Donc c’est une institution qui est pleinement internationale qui appartient autant, à un membre burkinabè comme Smarty, nigérian comme Flavour ou les P-Quare, que David Gueta, Alpha Blondy, DJ Snake etc. Il n’y a pas de focus à faire sur la France. C’est normal que l’on s’intéresse de la vie de nos membres africains. On doit les aider à faire en sorte que les droits d’auteur qu’ils génèrent leur revienne afin qu’ils puissent mieux gérer leur carrière.
Il y a déjà le BBDA au Burkina Faso. Qu’est-ce que la SACEM apporte de plus, pour un artiste musicien burkinabè ?
Je parle un langage que Walib Bara, le Directeur Général du Bureau Burkinabè de Droit d’Auteur tiendrait également. Notre but, c’est vraiment l’épanouissement des créateurs. D’ailleurs je crois que c’est le slogan du BBDA. C’est regarder de façon froide et dépassionner la situation des créateurs, qui sont nos patrons. Comme on le dit à la SACEM, c’est une coopérative qui appartient à ses membres. Je suis au service de mes patrons, ce sont les créateurs membres de la SACEM. Même au niveau du BBDA, malgré le statut qu’il soit sous la dépendance du Ministère de la Culture des Arts et du Tourisme, les œuvres qu’il représente appartiennent à ses membres. Il sait très bien qu’il doit rendre compte à ses membres qui ont confié leur œuvre. Donc Walib Bara est conscient du fait que les créateurs sont sa priorité. Pour un créateur qui a, à la fois de la popularité sur son territoire mais qui commence déjà en avoir à l’international, c’est intéressant pour lui de scinder ces territoires et d’en confier une partie de la gestion au BBDA pour le Burkina et l’Afrique et le reste du monde, pour la SACEM. C’est un intérêt qui est bien compris par le BBDA. Car le BBDA a aussi à cœur que ses membres s’épanouissent…
…Vous voyez çà plutôt comme une complémentarité et non une concurrence alors ?
Ah oui-oui ! Complètement ! Encore une fois, ce que nous recherchons est que le créateur puisse bien s’en sortir. Si ça doit passer par une telle organisation, je pense que c’est très bien. Je suis en phase avec le DG du BBDA sur cette question. C’est aussi ça le travail que je suis amené à faire, c’est créer des liens forts et une relation constructive avec les sociétés de gestion collectives africaines. Parce que nous avons des créateurs dont leur musique voyage. Celui qui est par exemple originaire du Burkina puisse être sûr que, quand ces œuvres sont exploitées à l’international. C’est de faire en sorte que les œuvres de nos créateurs dépassent les frontières nationales ou européennes touchent l’Afrique et que les droits soient sauvegardés. C’est pour ça qu’on a besoin d’avoir des sociétés fortes sur le contient. Raison pour laquelle on vient, en toute humilité partager notre expérience et les bonnes pratiques qui peuvent contribuer à les renforcer. En sachant que la SACEM a été créée en 1851, c’est même la première société de Droit d’auteur musicale au monde. Les sociétés de droit d’auteur africaines ont été créées dans les années 80, elles sont encore jeunes et il faut aussi leur laisser le temps de grandir et de se fortifier.

Parlant d’expérience, les sociétés de gestion collective africaine éprouvent d’énormes difficultés à suivre la diffusion des œuvres de leurs membres. Pourquoi, ne partagez-vous pas votre expérience avec ces sociétés africaines ?
L’enjeu c’est le renforcement de capacité donc la formation des ressources humaines au niveau des sociétés africaines. Nous sommes ouverts à œuvrer pour cela. C’est quelque chose que nous avons déjà fait à de nombreuses reprises. Des délégations de sociétés africaines sont même venues à Paris au siège de la SACEM pour voir comment on fonctionne. Malheureusement, comme il y a aussi une instabilité chronique au niveau des bureaux, qu’au niveau des dirigeants, ceux qui bénéficient de ces formations ; un an deux ans, ne sont plus au bureau, il n’y a plus de suivi. Ils partent avec le savoir qu’ils ont acquis. Par conséquent, les sociétés restent au même niveau. A l’heure où le numérique est en train de rebattre les cartes à tous les niveaux et d’intensifier le challenge en terme technologique et financier, les sociétés africaines ont encore besoin beaucoup plus qu’hier d’être plus performante. Nous sommes disposés à accompagner ce mouvement parce qu’on sent qu’en face, il y a de plus en plus d’envie de répondre aux attentes de ses membres. Après ; en ce qui concerne la transparence, c’est un processus qui est sans fin. C’est un horizon à atteindre. L’opinion publique réclame de plus en plus de transparence. Nous même avons fait des efforts et il y a un cadre au niveau européen qui impose cela. Ce cadre impose la transparence. Nous sommes tenus d’afficher nos tarifs, d’expliquer comment ça fonctionne, il faut une vraie traçabilité. Quand vous voulez adhérer à la SACEM, il y a une fiche claire qui est affichée et vous communique les frais de gestion que nous prélevons par type de droit…
…savoir aussi où et quand vos œuvres sont exploitées…
Ça aussi oui, on peut le savoir ! Parce qu’on a développé une technologie et un espace en ligne que chaque membre qui adhère possède. Il a son compte en ligne et peut voir clairement comment ses œuvres sont exploitées, ce que ça génère au cas par cas. A la fin, quand il a un montant donné, il comprend aisément d’où c’est parti pour arriver à ce résultat. C’est un travail qui est aussi lié à une capacité technologique qu’il faut avoir. Il y a la volonté de transparence mais il faut également les outils pour pouvoir l’implémenter. Pour les sociétés africaines, il y a aussi le problème de moyens qui s’impose. En mutualisant les moyens au niveau africain et en travaillant en bonne intelligence avec les structures internationales qui existe comme la CISAC (Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs et de Compositeurs) ou l’OMPI (l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle), ainsi que les sociétés sœurs comme nous, je pense que le fossé pourrait être comblé progressivement.
Au niveau du digital, vous avez signé des conventions avec You Tube, Universal Music Publishing. Quelles en sont les clauses ?
Il y a plusieurs formes d’accord que les créateurs signent avec les plateformes. Il y a la monétisation ; en prenant l’exemple d’un artiste qui est également producteur ou un producteur qui possède les catalogues de plusieurs artistes. Il y a des agrégateurs où tu peux placer des titres sur des plateformes digitales comme ; Spootify, Deezer, You Tube etc. ça te régénère un revenu, que tu pourras garder toi-même si tu es artiste et producteur. S’il est producteur, il récupère et reparti aux artistes selon le contrat de production qu’il a avec ces derniers. Ce dont-on s’occupe, c’est un autre couloir. Ce sont des revenus additionnels qui sont le Droit d’auteur. Concrètement, nous ne sommes pas les concurrents de «Believe» ou autre. on fait quelque chose à côté qui est une source de revenu complémentaire. De la même manière que ton œuvre est diffusée à la radio, elle génère le droit d’auteur. Si elle est diffusée sur Internet soit ; You Tube, Spootify, Deezer…elle génère aussi le droit d’auteur. Les plateformes sont tenues de signer des accords à la fois avec les producteurs mais également avec les sociétés de gestion collective. C’est ce genre de licence que nous signons avec les plateformes. En plus de notre propre répertoire, nous avons également le répertoire d’Univers Music Publishing. Universal Music est une maison de disque, mais elle a une autre casquette qui est Editeur. En tant que maison de disque classique donc Universal Music Group, elle autorise la plateforme sur le côté producteur. Universal Music Publishing International qui lui autorise pour le côté Edition. Nous gérons le côté digital du catalogue d’Universal Music Publishing International. Nous avons également d’autres éditeurs indépendants anglais et américains qui nous ont confié leur répertoire aussi. Nous avons des accords même avec facebook. Cette année, nous avons payé pour la première fois des droits liés aux membres. Cette année, ils ont vu leur «fiche de paie» ce que facebook leur a apporté. Nous avons des accords avec des plateformes viables.
Qu’est-ce que concrètement, un artiste lambda gagne lorsque son œuvre est diffusée sur ces plateformes ?
L’enjeu dépend du nombre de vues et de stream que tu possèdes. Ceux qui s’en sortent aujourd’hui ce sont les Drake etc. On a d’un côté, l’argent qui a été généré par les abonnements payants et l’argent lié à des publicités. Les abonnements coûtent un tout petit peu moins de 10 euro/mois. Le combat pour un créateur, c’est comment être plus visible et comment générer des vues. Ce qu’il faut dans le digital aujourd’hui pour les créateurs africains et leur environnement professionnel, c’est maîtriser les outils de développement d’audience sur les plateformes. C’est un travail spécifique qu’il faut apprendre et maîtriser. Il faut travailler à développer ton audience pour avoir de plus en plus de streams qui te donneront de plus en plus d’argent. Il y a des créateurs africains qui commencent à en avoir. C’est essentiellement pour artistes anglophones. Les nigérians Wezked, Davido etc.

La SACEM possède également un volet développement de carrière. Que peuvent attendre les créateurs burkinabè sur ce volet ?
On intervient à deux niveaux principalement. C’est l’aide à l’autoproduction pour apporter du soutien à la production d’un album. Egalement de l’aide à la diffusion. Ça peut être de la diffusion en Afrique ou de la diffusion à l’international. On peut soutenir un projet de Tournée en apportant un accompagnement financier concret. On a également mis en place des partenariats avec des festivals, des plateformes, des marchés de par le monde où nous organisons régulièrement des scènes SACEM sous lesquelles nous positionnons des créateurs SACEM pour les permettre de jouer devant un parterre de professionnels qui peuvent participer à accélérer leur carrière.
Est-ce que selon vous ; le marché africain francophone est porteur ?
Le vrai problème c’est le marché intérieur qui reste à être structuré. Il y a des créateurs qui s’en sortent bien. Au Nigéria, en Côte d’Ivoire ou ailleurs. Mais il y a des structures qui peinent à trouver leur place. Même ceux qui s’en sortent bien, ils s’en sortiront encore mieux si le paysage était structuré. Notamment, au niveau de la chaine des valeurs ; qu’il y ait une véritable industrie musicale. Dans la majorité des pays africains il n’y a pas d’industrie musicale structurée. Chacun se débrouille comme il peut. Il y a des artistes qui commencent tout de même à se positionner à l’international. C’est là-bas vraiment que le marché existe. Le travail qui est en train de se faire, c’est comment contribuer à structurer l’environnement au niveau africain ? Bien sûr il y a la problématique du Droit d’auteur, mais, il y a tous les autres enjeux liés aux différents métiers : le Mangement, les managers mieux formés, il faut qu’il y ait des tourneurs, il faut qu’il y ait des scènes, la diffusion, les médias. Bref il y a tout un travail à faire pour structurer la chaîne de valeurs. Sous lesquelles s’engagent aussi les sociétés de gestion collective. Des entreprises comme Universal et SONY qui sont venus en Afrique, elles ont besoin aussi que le paysage soit structuré. Une initiative comme le MIDEM c’est fait pour ça aussi. Les organisateurs entendent créer un MIDEM en Afrique pérenne. A partir de 2020, il y aura un pays où chaque année va s’organiser le MIDEM en Afrique. Surtout jeter un pont entre l’Afrique et le MIDEM qui se déroule à Cannes. Faire en sorte qu’il y ait une sorte de va et vient entre les professionnels africains et ceux de l’international. Pour qu’il y ait cette montée en compétence des professionnels africains dont on a tous besoin. Si c’est pour des talents, ils sont partout en Afrique. Le Cameroun aujourd’hui est revenu en force ! Grâce au fait que c’est la musique urbaine qui règne en maître en Afrique. Ils ont su faire des efforts en termes d’organisation et de création. C’est l’un des plus grands viviers de talents en Afrique. Ils ont la force et l’avantage d’être un pays bilingue. L’anglais et le français sont naturellement exploités par les créateurs. Ça leur donne plus de potentiel à l’international. Le Congo est aussi en train de poser ses deux pieds aussi. Bref, je pense que l’Afrique francophone va aussi être au rendez-vous.
Ça fait deux ans que vous êtes responsable du département Afrique de la SACEM. Quels sont vos projets?
En tant qu’artiste à la base, ce que j’espère ; c’est pouvoir contribuer et faire de mon mieux pour que les créateurs africains, ceux avec qui je suis en interaction, soient impacter par la question de droit d’auteur et qu’ils puissent aisément vivre de leur art. Quand je me regarde tous les jours devant une glace, je me dis que je n’ai pas trahi ma mission. Je ferai au mieux et ça me tient vraiment à cœur, que les artistes réussissent complètement !
Hervé David HONLA