Des spécimens délaissés
La construction d’un État dans un climat tendu et délétère ou post-conflit exige, à mon avis, que des mesures urgentes soient prises dans le processus de reconstruction, de réhabilitation, de cohésion sociale et de croissance économique, culturelle. Sur cette toile de fond, se dégage la volonté de plus en plus affirmée de chaque pays notamment africains, de reconnaître l’importance du rôle de leurs citoyens résidant à l’étranger dans le développement national et régional. Le thème des NUITS ATYPIQUES DE KOUDOUGOU au Burkina Faso sur «Diaspora et promotion culturelle», qui célèbrera sa 24è édition du 27 novembre au 1er décembre 2019, m’a poussé à m’appesantir sur cette problématique.

Étant donné que cette diaspora peut jouer un rôle important dans la relance et la reconstruction des États fragiles, Il est important de savoir ce qu’elle vaut et quelle partition pourrait-elle jouer au-delà des promesses politiques, des rencontres fortuites d’un leader dans un pays ou encore des shows culturels et des selfis sur Facebook. La diaspora ne doit pas être considérée seulement comme un atout ou un jouet électoral, une caisse de résonance à l’extérieur ou une source de financement. Mais plutôt, comme un partenaire au développement. Il y a donc lieu d’établir de toute urgence des liens plus solides sur la base des compétences mutuelles gagnant-gagnant, où les bénéfices iront à la Nation entière. Pour emprunter une expression commode au Burkina Faso.
A côté des politiciens africains qui émigrent pour des raisons de mauvaise gouvernance, de pillage ou d’éclatement d’un conflit, nombreux sont des professionnels qui résident et exercent dans ces pays développés des métiers porteurs. Certains y sont même allés pour obtenir des diplômes supérieurs (cas du Burkinabè Nefambone Yaya Dah, résidant en Belgique, que j’avais interviewé le 14 octobre dernier). Beaucoup de ces africains sont partis pour poursuivre des études avancées dans les pays développés, particulièrement dans les pays d’immigration traditionnels tels que les Etats-Unis, le Canada, la France, la Belgique, ne retournent pas dans leur pays d’origine une fois le diplôme obtenu. Surtout lorsque le pays d’origine tombe en faillite suite à d’éventuels conflits de vengeance qui s’éclatent en sourdine. Il y a donc une forte corrélation entre la disposition au retour après les études à l’étranger et les conditions qui prévalent dans le pays d’origine. Les conditions sont d’ordre économiques (l’emploie garantie, la facilité d’ouvrir un entreprise ou de monter un projet), politique (la quiétude et la stabilité du pays) et enfin une véritable politique d’accompagnement de la jeunesse. Tous les bouquins que vous lirez, vous diront que ; le taux d’expatriation des étudiants demeure exceptionnellement élevé dans les pays de l’Afrique subsaharienne. Pourtant cette partie du Sud du Sahara abrite environ 48 Etats. C’est d’ailleurs la partie de la planète la plus dynamique en matière démographique. Mais malheureusement, les problèmes sanitaires et d’éducation sont les plus préoccupants au niveau mondial. C’est peut être entre autres ce qui les fait aussi «fuir».
Lorsqu’un étudiant se décide, à la fin de ses études, à aller travailler à l’étranger (de façon légale pas clandestine), il participe à un épiphénomène que j’appelle à juste titre la «fuite des cerveaux». De prime à bord, c’est normal, rien de grave. Car de nombreuses familles et les Etats prennent quotidiennement cette décision d’envoyer leurs fils et filles de l’autre côté du continent. Pourtant, lorsqu’un individu se résout à partir, peu importe la raison, ses talents et ses idées voyagent avec lui. De plus, l’investissement que son Etat d’origine aura dépensé pour sa santé et son éducation ne portera jamais de fruits. D’autant plus que le cerveau en question deviendra productif sur un autre territoire. Par conséquent, ce qui pourrait être une simple anecdote dans les pays développés, peut se transformer en une véritable hécatombe pour les pays en voie de développement. Et les pays développés profitent du contexte.

L’impact donc ces départs en masse est gigantesque sur les pays encore en voie de développement, qui ne peuvent qu’assister à l’exil de leurs fine fleurs et espérer désespérément qu’ils reviennent. Nefambone Yaya Dah (Ingénieur burkinabè, spécialiste en sécurité de système d’information, résidant en Belgique). «J’ai rencontré de nombreux jeunes étudiants Burkinabè en Europe très compétents qui désirent rentrer pour mettre leur savoir au profit du Burkina. Mais, tous ces jeunes disent la même chose : Ils ont peur de rentrer parce qu’ils ne savent pas comment ça va se passer. Ici, les compétences ne sont pas recherchées… Quand j’ai fini mes études en France, je suis immédiatement rentré au Burkina Faso. D’abord en tant que jeune et spécialisé dans un domaine, je voulais, toute suite servir mon pays. Quand je suis rentré, j’ai été pendant longtemps combattu par mes compatriotes même certains collègues de service. Je me suis dit : pourquoi rester ici ?». Un Professeur Hillel Rapoport à l’école d’économie de Paris (PSE) fait un constat pertinent dans son ouvrage sur l’incidence de la fuite des cerveaux: «On compte plus de médecins ghanéens à Londres qu’au Ghana, d’infirmières philippines aux États-Unis qu’à Manille, ou encore d’informaticiens camerounais dans la Silicon Valley qu’à Douala. Un natif d’Haïti, de Sierra Leone, du Cap Vert, de la Mauritanie ou de la Jamaïque a plus de chance de vivre à l’étranger que dans son pays s’il est diplômé du supérieur. Plus de 80 % des chercheurs en science et technologie nés au Vietnam, au Cambodge, au Cameroun, au Panama ou en Colombie résident aux États-Unis».
En prenant même le cas des pays magrébins, rendez-vous compte qu’en 2018 à côtés-là : ce ne sont pas moins de 600 ingénieurs et 8 000 cadres supérieurs, nés et éduqués en Tunisie, qui ont quitté leur pays. Au Maroc par exemple, 91% des Marocains de moins de 35 ans souhaitent partir travailler à l’étranger, que ce soit pour élever leur qualité de vie ou faire évoluer leur carrière.
La question est non seulement fondamentale mais transversale dans les pays dits fragiles en Afrique. Tous ces étudiants remettent en cause, la qualité de vie au travail, le faible taux de rémunération, les emplois instables, les fausses promesses, la corruption, l’instabilité des gouvernements, le terrorisme, les fraudes électorales, le tribalisme, le manque d’encadrement des ressources humaines. Selon la Tribune «Welcome to the Jungle» d’un confrère journaliste expert en économie «Les pays africains dépensent chaque année, 4 milliards de dollars pour compenser le départ de leurs personnels qualifiés»
Face donc à tout ça, comment endiguer cette fuite de cerveaux ?

En ce qui me concerne ; il n’y a pas de solution prodigieuse pour endiguer cette évasion. Chaque pays en proie à ce phénomène, possède ses propres restrictions économiques, politiques et éducatives. Pour le Burkina Faso que je connais, les moyens pour résoudre ce problème doivent être spécifiques en tenant compte de ses atouts sur le plan culturel et économique. Sachez que dans une communauté de trente (30) étudiants africains de la diaspora, sur 90% des cas que vous allez rencontrer, c’est le Burkinabè qui est plus instruit, le plus jeune et le plus diplômé. Mais, il préfère rester réservé, moins loquace et anodin.
Il est essentiel pour le gouvernement de réfléchir à une véritable stratégie de retour potentiels des cerveaux, et de fournir les efforts nécessaires pour l’appliquer. Surtout que l’Occident, au-delà de ses performances économiques, industrielles et pédagogiques, n’est plus une terre d’accueil. L’emploi n’est plus garantie et pire, il n’y a plus d’espace. Il serait véritablement important de s’intéresser aux plans de carrières, aux cadres de travail et à la qualité du management.
La Chine par exemple ; et je termine avec ce LIBRE PROPOS, en affirmant qu’elle a été depuis longtemps, la première victime mondiale de la fuite de cerveaux à cause notamment, de la rigidité du régime. Pourtant, à force d’efforts et d’investissements, la tendance s’est considérablement inversée ces dernières années. Tout comme l’Ouganda et le Rwanda à côté de chez de nous. Aujourd’hui, les ressources technologiques et l’appropriation des valeurs culturelles et économiques du Rwanda font rêver les autres Etats. Les entrepreneurs et les profils financiers sont de plus en plus abasourdis par ce dynamisme dont ce pays fait preuve.
LECHAT !