Selon les chiffres officiels, la 26è édition du Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (FESPACO) qui a eu lieu du 23 février au 02 mars 2019 sous le thème «Mémoire et avenir des cinémas africains» ; plus de 100 milles festivaliers y ont pris part, 434 séances de projections dont 4 mille acteurs de cinéma, 165 films de 16 pays africains étaient en compétition et 145 millions ont été distribués aux lauréats des prix officiels et spéciaux.
Une édition qui célébrait son cinquantenaire (1969-2019) en guise de rétrospective de cinq décennies non stop. Les rideaux se sont baissés le samedi 02 mars dernier du côté du Palais des Sports de Ouaga 2000 avec le sacre du film «The mercy of the jungle» (La miséricorde de la jungle) du réalisateur rwandais Joel Karekezi. Né le 12 décembre 1985 à Kigali, il est réalisateur des films «Imbabazi » et «The Pardon » qui porte le nom de la réconciliation après le génocide de 1994 contre les Tutsis et remporte le prix Golden Impala au «Amakifa International Film Festival » en Ouganda.
Des invités certes, mais pas les plus attendus
Le caractère spécial de cette édition était attendu, raison pour laquelle, l’ensemble du gouvernement n’aura ménagé aucun effort pour faire de ce cinquantenaire, un évènement historique. Les partenaires, les institutions étrangères et surtout les pays africains et européens ont apporté leur touche au déroulement de cette édition. Plus de 700 invités officiels étaient présents dans la capitale pour un rendez-vous jubilaire mémorable. Mais la plupart des sommités du monde du cinéma et de la musique qui étaient annoncées officiellement et officieusement n’ont pas foulé le sol burkinabè. Will Smith ou encore Denzel Washington annoncés et même confirmés par des journaux en ligne n’ont jamais franchi l’aéroport International de Ouagadougou. Même certains réalisateurs dont leur film était en compétition et ont même remporté de nombreux prix à cette édition, à l’instar du Tunisien Mahmoud Ben Mahmoud qui réside en Belgique, a brillé par son absence. Il a remporté l’Etalon de Bronze avec «Fatwa ». Un excellent film qui parle d’un père qui mène une enquête sur la radicalisation de son fils à l’islam. D’aucuns ont évoqué une mauvaise organisation d’allocation de billets de transports. Des billets mal émis, soit très tard ou encore dans des localités où ne résident pas les réalisateurs. L’on s’attendait également à voir des figures de proue du cinéma africain (Nigérian, Ghanéens, Sud Africains…). Néanmoins, l’une des satisfactions majeures est sans nul doute, la présence du trio de Chefs d’ Etats : Ibrahim Boubacar Keita (Mali), Paul Kagamé (Rwanda), pays invité du festival et Roch Marc Christian Kabore (Burkina Faso) avec la présence très ovationnée de l’ancien président ghanéen Jerry Rawlings.
Une ouverture qui contraste à celle de la clôture
Le peuple burkinabè et l’ensemble des festivaliers ont tous salué le déroulement de la cérémonie d’ouverture du 23 février au stade municipal de Ouagadougou. Tout y était : l’originalité, le spectacle, le son et la lumière. Par contre ; celle de la clôture a frisé le ridicule. Beaucoup d’imperfections, des ratés et surtout un manque de professionnalisme caractérisé entaché par une régie quasi absente. On a même aperçu des Ministres descendre de leur tribune officielle pour venir exprimer leur colère auprès de l’équipe technique dans les coulisses. Une sorte d’autosatisfaction aurait donc animé cette équipe technique à tel point où, elle a délaissé le plus important : la cérémonie d’ouverture. N’eut été l’expérience, la placidité et l’impassibilité du maître de cérémonie Big Ben, l’imbroglio total prenait le dessus. Les compétences des uns et des autres devraient prévaloir et surpasser les affinités et l’affectivité. Surtout quand il s’agit d’un challenge continental. On ne peut pas solliciter les services de nos techniciens de la régie dans des grandes manifestations à l’extérieur, mais quand il s’agit des nôtres, on préfère les ignorer ou encore minimiser leur savoir-faire. L’excès de confiance a malheureusement animé cette équipe, oubliant l’enjeu o’combien important qui les attendait.
Pléthore disproportionnée des colloques
Avec plus de 500 visiteurs et journalistes professionnels présents, les colloques et débats forums se juxtaposaient les uns des autres. Ce qui ne permettait pas aux journalistes et professionnels de suivre le maximum des rencontres. C’est à 9h que s’ouvraient les colloques au CBC et parallèlement, les cérémonies officielles des baptêmes, expositions, se déroulaient de façon inopinée, empêchant une planification conforme. Un planning approprié des débats-forum et colloques devrait être établi 24h avant le lancement du festival et publier officiellement. Les rencontres devraient se faire de façon graduelle pour permettre une participation effective de la majorité des visiteurs professionnels. Les rencontres professionnelles des partenaires du FESPACO doivent être distinctes des rencontres officielles du FESPACO. Malheureusement, le programme des structures partenaires du festival se confondaient avec ceux des partenaires. Ce qui perturbaient parfois les tournées des journalistes et professionnels du cinéma présents. Des annulations, reports et décalages ont également chamboulé le programme. Il serait judicieux d’installer au sein du MICA notamment sur le site de la Place de la Nation, une station radio. Elle sera exclusivement réservée pour orienter et donner les informations inhérentes aux festivaliers, en temps et en heure réel.
Le MICA, l’un des points positifs de ce festival
Le matériel logistique qui avait été déployé sur ce site et notamment à la place de la Nation aura davantage rehaussé, non seulement l’image de ce FESPACO, mais également redorer le blason du Marché International du Cinéma et de la Télévision Africains (MICA). Depuis 1983, le MICA a été surtout créé pour donner au FESPACO, une vitrine sur les rencontres professionnelles du cinéma et de l’audiovisuel. En dehors de la promotion des films longs métrages, le MICA est aussi une tribune dédiée aux vidéos courts métrages, documentaires et même du monde. On pouvait même y trouver une vidéothèque en ligne, des box de visionnement pour des films inscrits dans le catalogue officiel du MICA. Des pays se sont admirablement bien illustrés dans ce MICA. Notamment le Cameroun et la Côte d’Ivoire, à travers leur plateforme de présentation de projets et surtout de l’animation qui prévalait dans leurs stands. Un espace qui mériterait d’être davantage agrandi. Au-delà de l’aspect exposition des ouvrages, des films ou encore des rencontres B2B, le MICA en particulier et le FESPACO en général, devraient s’étendre vers une exposition plus large et concrète de l’ensemble des métiers du cinéma. Des espaces grandeurs nature d’un plateau de tournage devraient être érigés lors de cette biennale. Pour permettre aux visiteurs de comprendre comment on tourne et réalise un film par exemple. Des espaces de simulation de maquillage et de décors pourraient être l’une des attractions majeures. Permettre à tous les corps de ce métier de cinéma, de présenter leur «cuisine interne». Même les costumes de certains films à succès portés par des acteurs célèbres, pourraient être arborés et exposés durant l’édition. Faire revivre le cinéma «inside» en incorporant les effets spéciaux et les nouvelles technologies, susciterait beaucoup d’engouement de la part des festivaliers.
La cellule presse en mode NTIC
La fluidité des infos du FESPACO passait par le biais d’une plateforme interne où la majeure partie des journalistes locaux y avait accès. Une innovation qui aura désengorgé la salle presse du FESPACO. Du programme de la biennale en passant par les rencontres spontanées au quotidien se partageaient comme des dépêches sur cette plateforme. Par contre ; la commission accréditation, comme les éditions précédentes a eu du fil à retordre. Toujours étouffée par des demandes d’accréditations qui n’en finissent point. Même les structures et organismes résidant au Burkina Faso, à Ouagadougou, demandaient des badges en pleins FESPACO, à 24h de la clôture du festival.
Les salles de cinéma préférées aux espaces d’exposition
Neuf (9) salles de cinéma ont été répertoriées au cours de cette biennale de plus de 3800 places. Force est de constater que cette édition a battu le record d’affluence dans les salles. Les salles de projection ne désemplissaient pas. Même certaines projections presse étaient assiégées à la fois par les journalistes et de simples festivaliers. Contrairement au siège du FESPACO et à la Maison du Peuple qui étaient toujours réputés comme étant des centres névralgiques de cette fête de cinéma, n’ont pas véritablement connu l’affluence d’antan. Le public s’est plutôt intéressé aux projections dans les salles. Seul gros bémol : c’est la méconnaissance et l’amateurisme criard des présentateurs des films dans ces salles. 99% de ces MC ne maîtrisaient pas leur métier, pire encore, beaucoup ne connaissaient même pas les films et les réalisateurs qu’ils présentaient. Aucune recherche de leur part. Aucune prestance digne de leur mission. Il serait plutôt judicieux, soit de former ces jeunes étudiants en communication ou en audiovisuel sur la connaissance et la filmographie des réalisateurs en compétition. Ou par contre, remplacer ces présentateurs amateurs par des MC de métier qui officient sur les différents plateaux musicaux.
Mention spéciale aux Forces de Défense et de Sécurité
Le Ministre de la Culture des Arts et du Tourisme Abdoul Karim Sanfo a bien fait d’entrée de jeu, de rassurer les nombreux festivals sur cette question sécuritaire : «Unis et soudés, comme nous exhortaient Ousmane Sembène ou Thomas Sankara, nous surmonterons assurément tous les défis et adversités futurs. Je réitère notre ferme engagement à assurer une sécurité optimale à tous les festivaliers» avait-il annoncé.
Certes le défi de ce cinquantenaire était capital, mais tout reposait sur la sécurité. D’aucuns n’hésitent même pas à affirmer que si certaines grosses pointures du cinéma et de l’audiovisuel n’ont pas répondu présents, ils s’inquiétaient du climat délétère qui prévaut dans le sahel et par ricochet au Burkina Faso. Pourtant, durant les 8 jours de cette édition, aucun soupçon ni inquiétude encore moins un sentiment de peur ne se lissait sur le visage des festivaliers. Bien au contraire, une ambiance bonne enfant régnait à la fois entre les forces de l’ordre et les participants. Les fouilles corporelles se déroulaient convenablement selon les règles de l’art, en tenant compte de la parité genre. Les périmètres de sécurité étaient respectés sur l’ensemble des sites y compris les innombrables caméras de surveillance qui ont été installés depuis déjà un mois dans la capitale. Les sbires en civiles étaient présents dans les salles de cinéma et même dans les rues marchandes en guise d’infiltration. Le service secret de renseignement était au diapason avec ceux des pays amis à partir de l’aéroport jusque dans les hôtels. Même dans les faubourgs les plus reculés de la ville, ils étaient aux abois. Afin de pas être désagréable vis-à-vis des festivaliers parfois provoquant, la sécurité est restée à la stoïque et courtoise quant à certains écarts de langage qu’ils recevaient au passage, dans l’exercice de leur mission.
Un plateau musical exorbitant
Est-ce par peur de représailles des artistes que la commission Animation du FESPACO a battu le record de rappel des artistes musiciens invités à cette édition ? On en a dénombré 200 artistes musiciens et humoristes pour un évènement destinés au cinéma. Ils officiaient sur trois plateaux essentiels : Le siège du FESPACO, la Maison du Peuple et l’Avenue Kwameh Krumah. Ce dernier, aura connu un succès notoire, au regard, non seulement de l’affluence, mais également les stéréotypes et la psychose qui incarne ce lieu avaient disparu. Lieu (Maquis Taxi Brousse, Cappuccino, Splendid Hôtel) jadis réputé pour accueillir dans la nuit, une forte marrée humaine tous les jours, est devenu l’ombre de lui-même suite aux attentats terroristes du 15 janvier 2016 et 16 août 2017, respectivement au Café Cappuccino et au restaurant Istanbul. Des manifestations sporadiques se sont déroulées à cet endroit sans grand succès. Mais ce plateau érigé lors du FESPACO sur cet espace, a surpris plus d’un. C’est à cause de l’apparition du soleil au petit matin que le public libérait les lieux. Sinon, si la nuit se prolongeait, les festivaliers allaient définitivement camper les lieux. Néanmoins, il serait sensé de réduire le nombre d’artistes musiciens et prioriser le temps de prestation des artistes et la qualité du spectacle. La cérémonie d’ouverture du FESPACO au stade municipal aura certes connu, une réussite toute particulière, mais force est de constater que la place prépondérante qu’on devrait donner à nos vedettes locales de la chanson moderne, n’est pas encore effective. Pour une des rares fois, que nous avons quelques artistes qui commencent déjà à s’illustrer admirablement bien hors du Burkina à l’instar de Floby, c’était une aubaine pour les invités professionnels, venus du monde entier, de découvrir ce fleuron de notre patrimoine musical. Nonobstant le fait que les artistes internationaux ne sont pas exclus, ce Kunde d’Or 2019 avait une bonne carte à jouer dans cette cérémonie d’ouverture. Et c’est l’ensemble du pays qui serait honoré. Un motif de satisfaction néanmoins lors de la cérémonie de clôture ; c’est le spectacle qu’a proposé Bil Aka Kora avec la présence majestueuse de Nourat. Mais malheureusement, les flops de la régie ont escamoté sa prestation. L’absence de la gent féminine dans l’équipe des MC peut être taxée de misogyne, pourtant, quelques unes commencent à s’illustrer parfaitement dans ce domaine.
L’absence justifiée des cinéastes burkinabè sur le podium
Au de-là du sentiment patriotique qui semble tous nous animer, une autopsie du revers cuisant de nos réalisateurs absents au trio de tête de l’Etalon de Yenennga doit être fait. L’un des problèmes majeurs qui gangrène notre cinéma, c’est le financement ou plutôt l’accès au financement à temps réel. Comme le disait le réalisateur Sud-Africain Ramadan Suleman «Ne faisons pas des films uniquement pour le FESPACO». Il est arrivé malheureusement où certains de nos réalisateurs attendaient la dernière tranche de la subvention du Président pour achever leur films. Trois mois avant le FESPACO, certains étaient encore en plein tournage. Le résultat s’est drôlement constaté lors de la projection de ces films dans les salles. Des montages à la va-vite, des plans d’images quelques peu en déphasage avec le son. Surtout cette post production qui pêche parfois au niveau du montage, des plans, et même le mixage de la bande son, était approximatif. Pas par manque de professionnalisme, mais par précipitation. Pourtant, les scénarios de «Hakilitan » et «DUGA » sont pertinents selon l’avis de certains professionnels du cinéma.
Le Rwandais Joël Karekezi avec son film «The mercy of the jungle» Etalon d’Or de Yennenga remporte la coquette somme de 20 millions de FCFA et le l’Egyptien Khaled Youssef avec son film Karma» s’adjuge l’Etalon d’Argent pour une somme de 10 millions, tandis que le Tunisien Mahmoud Ben Mahmoud avec son film «Fatwa» s’en tire avec l’Etalon de Bronze et se contente de 5 millions. Ni l’Afrique de l’ouest, encore moins l’Afrique central n’a chatouillé un quelconque podium.
Il serait néanmoins important que la direction générale du FESPACO se dote d’une équipe outillée pour établir à chaque édition une autoévaluation. Grâce à cette formule, cette équipe se renseignera auprès des participants sur ce qui n’a pas marché et ce qui a fonctionné, pour apporter des modifications positives pour la bonne marche des prochaines éditions. C’est en réunissant la majorité des suggestions positives qu’on améliorait la qualité et le contenu de cette biennale très convoitée sur la planète.
Le caractère panafricain du FESPACO ne doit pas seulement se matérialiser dans la diversité des films proposés mais également dans le contenu de son organisation. Il faudrait non seulement chercher des financements des pays partenaires mais également solliciter leurs expertises dans certains domaines de compétences. L’Afrique du Sud par exemple peut être sollicitée grâce à son expérience à travers l’organisation du Festival international de film de Durban ou encore et surtout en Tunisie avec les JCC (Journées Cinématographiques de Carthage). C’est aussi ça l’unité africaine et le panafricanisme que nous prônons tant.
LECHAT !